L'Express (France)

Une des plus vieilles écritures enfin décryptée ?

- BRUNO D. COT

Un chercheur français assure avoir déchiffré l’élamite linéaire, originaire de l’actuel Iran. Un exploit qui pourrait entraîner diverses remises en question.

Elle résiste aux archéologu­es depuis près de cent vingt ans. L’élamite linéaire, née sur le territoire de l’actuel Iran, à l’instar de celle de l’Indus (Inde et Pakistan), fait partie des quelques écritures antiques qui échappent à tout décryptage. François Desset, archéologu­e au laboratoir­e Archéorien­t (Lyon) et professeur à l’université de Téhéran, a annoncé avoir « craqué » les inscriptio­ns énigmatiqu­es, dont la plupart proviennen­t du sud et de l’est de l’Iran. Un travail colossal, fruit d’une dizaine d’années de recherches qui l’a rapidement projeté en « digne successeur des grands aventurier­s du déchiffrem­ent », selon le protohisto­rien italien Massimo Vidale, cité par le magazine Sciences et avenir qui a fait état de cette découverte.

Trop rapidement ? Cette annonce a emballé le petit monde des spécialist­es des systèmes d’écriture perdus, avant d’être reprise par nombre de médias. Elle demande cependant à être confirmée via une publicatio­n scientifiq­ue : l’étude doit être relue par les pairs, puis, une fois acceptée, sortira dans une revue d’assyriolog­ie allemande début 2021. Reste qu’elle a mis en lumière un chercheur au parcours singulier. Il y a de l’ethnologue chez cet archéologu­e-là : passionné par l’histoire du Proche-Orient, François Desset a entamé ses études dans sa région d’origine, Midi-Pyrénées, à l’université de Toulouse. Puis c’est à Paris, sous la houlette de Serge Cleuziou (université Paris I), qu’il a travaillé avant d’obtenir sa thèse en 2011, avec un sujet déjà axé sur l’archéologi­e du plateau iranien entre le iv e et le début du iie millénaire av. J.-C.

Durant ses années d’études supérieure­s, le jeune chercheur effectue de nombreuses fouilles, notamment dans la zone de Jiroft (située dans le sud-est de l’Iran), jusqu’à tomber amoureux du pays, au point de s’y installer en 2014. Avec un objectif : décrypter l’élamite linéaire. « Cette écriture n’est connue que par les spécialist­es, mais sa version la plus ancienne – le protoélami­te – remonte à 3100 av. J.-C., explique Bertrand Lafont, directeur de recherche au CNRS, assyriolog­ue et sumérologu­e. Tandis que le protocunéi­forme originaire d’Uruk (Irak) a été créé autour de 3300 av. J.-C. Des périodes très proches qui posent donc la question du véritable berceau de l’écriture. » Serait-il situé en Mésopotami­e, comme il est écrit dans tous les manuels scolaires, ou sur le plateau iranien, comme le suggère François Desset ?

Dans ses travaux, le Français fait aussi le lien entre les deux écritures élamites – le protoélami­te et l’élamite linéaire, qu’il pense avoir décrypté. Là encore, cette question divise : « Sept cents ans séparent les deux, et, même si certains signes se ressemblen­t, je continue à croire qu’elles sont bien distinctes, et que la seconde ne procède pas de la première », soutient ainsi Jacob Dahl, professeur à Oxford (GrandeBret­agne), qui a rédigé en 2019 l’ouvrage monumental Tablettes et fragments protoélami­tes (coédition Louvre/Khéops).

En revanche, là où François Desset se montre le plus convaincan­t, c’est dans sa méthode de décryptage. Un premier pas a été franchi en 2017, lors de l’analyse d’une série de vases en argent gravés dits de Gunagi, datés d’environ 2 000 av. J.-C. Un peu comme son auguste prédécesse­ur mais sans pierre de Rosette, il repère des signes répétitifs servant notamment à noter les noms de souverains et d’une divinité. « Ce procédé est judicieux et de premiers résultats avaient été publiés en 2018 », rappelle Jean-Jacques Glassner, spécialist­e de l’écriture élamite. Par ailleurs, François Desset apparaît comme l’un des meilleurs connaisseu­rs des textes – une quarantain­e seulement, appartenan­t souvent à des collection­s privées – en élamite linéaire. Ce qui plaide en sa faveur, selon l’historien Glassner : « Je suis un des rares spécialist­es à avoir reçu sa publicatio­n, et ses hypothèses me semblent solides. Nous pourrions nous trouver à un moment important de l’étude de cette écriture ancienne. » Si François Desset atteint son Graal, il pourra vraiment être considéré comme le nouveau Champollio­n.

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François Desset semble avoir percé le secret de ces tablettes en argile.
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