Une des plus vieilles écritures enfin décryptée ?
Un chercheur français assure avoir déchiffré l’élamite linéaire, originaire de l’actuel Iran. Un exploit qui pourrait entraîner diverses remises en question.
Elle résiste aux archéologues depuis près de cent vingt ans. L’élamite linéaire, née sur le territoire de l’actuel Iran, à l’instar de celle de l’Indus (Inde et Pakistan), fait partie des quelques écritures antiques qui échappent à tout décryptage. François Desset, archéologue au laboratoire Archéorient (Lyon) et professeur à l’université de Téhéran, a annoncé avoir « craqué » les inscriptions énigmatiques, dont la plupart proviennent du sud et de l’est de l’Iran. Un travail colossal, fruit d’une dizaine d’années de recherches qui l’a rapidement projeté en « digne successeur des grands aventuriers du déchiffrement », selon le protohistorien italien Massimo Vidale, cité par le magazine Sciences et avenir qui a fait état de cette découverte.
Trop rapidement ? Cette annonce a emballé le petit monde des spécialistes des systèmes d’écriture perdus, avant d’être reprise par nombre de médias. Elle demande cependant à être confirmée via une publication scientifique : l’étude doit être relue par les pairs, puis, une fois acceptée, sortira dans une revue d’assyriologie allemande début 2021. Reste qu’elle a mis en lumière un chercheur au parcours singulier. Il y a de l’ethnologue chez cet archéologue-là : passionné par l’histoire du Proche-Orient, François Desset a entamé ses études dans sa région d’origine, Midi-Pyrénées, à l’université de Toulouse. Puis c’est à Paris, sous la houlette de Serge Cleuziou (université Paris I), qu’il a travaillé avant d’obtenir sa thèse en 2011, avec un sujet déjà axé sur l’archéologie du plateau iranien entre le iv e et le début du iie millénaire av. J.-C.
Durant ses années d’études supérieures, le jeune chercheur effectue de nombreuses fouilles, notamment dans la zone de Jiroft (située dans le sud-est de l’Iran), jusqu’à tomber amoureux du pays, au point de s’y installer en 2014. Avec un objectif : décrypter l’élamite linéaire. « Cette écriture n’est connue que par les spécialistes, mais sa version la plus ancienne – le protoélamite – remonte à 3100 av. J.-C., explique Bertrand Lafont, directeur de recherche au CNRS, assyriologue et sumérologue. Tandis que le protocunéiforme originaire d’Uruk (Irak) a été créé autour de 3300 av. J.-C. Des périodes très proches qui posent donc la question du véritable berceau de l’écriture. » Serait-il situé en Mésopotamie, comme il est écrit dans tous les manuels scolaires, ou sur le plateau iranien, comme le suggère François Desset ?
Dans ses travaux, le Français fait aussi le lien entre les deux écritures élamites – le protoélamite et l’élamite linéaire, qu’il pense avoir décrypté. Là encore, cette question divise : « Sept cents ans séparent les deux, et, même si certains signes se ressemblent, je continue à croire qu’elles sont bien distinctes, et que la seconde ne procède pas de la première », soutient ainsi Jacob Dahl, professeur à Oxford (GrandeBretagne), qui a rédigé en 2019 l’ouvrage monumental Tablettes et fragments protoélamites (coédition Louvre/Khéops).
En revanche, là où François Desset se montre le plus convaincant, c’est dans sa méthode de décryptage. Un premier pas a été franchi en 2017, lors de l’analyse d’une série de vases en argent gravés dits de Gunagi, datés d’environ 2 000 av. J.-C. Un peu comme son auguste prédécesseur mais sans pierre de Rosette, il repère des signes répétitifs servant notamment à noter les noms de souverains et d’une divinité. « Ce procédé est judicieux et de premiers résultats avaient été publiés en 2018 », rappelle Jean-Jacques Glassner, spécialiste de l’écriture élamite. Par ailleurs, François Desset apparaît comme l’un des meilleurs connaisseurs des textes – une quarantaine seulement, appartenant souvent à des collections privées – en élamite linéaire. Ce qui plaide en sa faveur, selon l’historien Glassner : « Je suis un des rares spécialistes à avoir reçu sa publication, et ses hypothèses me semblent solides. Nous pourrions nous trouver à un moment important de l’étude de cette écriture ancienne. » Si François Desset atteint son Graal, il pourra vraiment être considéré comme le nouveau Champollion.