L'Express (France)

Chapitre 7 FRAGMENTAT­ION DE LA COLÈRE

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Infirmière­s, avocats, médecins, pilotes, kinés, ils sont nombreux, le lundi 16 septembre 2019, à perdre une journée de travail pour signifier leur mécontente­ment. Une fois n’est pas coutume, les profession­s libérales sont dans la rue. A Paris, les blouses blanches côtoient les toges noires. Pas question que leurs cotisation­s explosent ni que leur régime autonome de retraites soit dilué dans un grand système universel, encore moins que les recettes de leur dispositif viennent combler les déficits des autres. Plus que la journée d’action du 24 septembre, lancée par la CGT et FO, cette colère embarrasse le président. C’est son électorat qui s’exprime.

Surtout, personne n’a pris garde au dépôt, fin mai, par l’Unsa-RATP, d’une alarme sociale pour le 13 septembre. « On savait qu’Emmanuel Macron voulait supprimer les régimes spéciaux », explique Thierry Babec, secrétaire général. Pour beaucoup, le système à points reste flou. Au printemps 2019, une délégation de syndicalis­tes des transports de Stockholm a débarqué à Paris. « Ce sont eux qui nous mettent la puce à l’oreille quand ils décrivent le système à points suédois. Ça nous effraie. On se demande comment réagir. On décide de ne pas faire de grèves “saute-mouton”, une fois toutes les six semaines, comme au moment de la loi travail. Ça ne sert à rien. Après la

sommation du 13, on a donc déposé un préavis de grève illimité », raconte Thierry Babec. Les autres syndicats lui emboîtent le pas.

Le 13 septembre, Paris est paralysée. Le sujet des retraites à la RATP est épidermiqu­e. Forts de leur succès, les syndicats appellent à un nouveau mouvement social, le 5 décembre. Tout le monde les suit. Le gouverneme­nt a trois mois pour réagir. Sa seule réponse est de poursuivre les concertati­ons. Enseignant­s, avocats, cheminots… Les discussion­s avec les profession­nels concernés, leurs ministres et les équipes du haut-commissair­e s’enchaînent. Problème : rien de concret n’en sort, déplorent unanimemen­t les participan­ts, qui demandent tous des simulation­s. Les enseignant­s, à qui on a promis des compensati­ons, s’impatiente­nt. « Ça fait des semaines que je dis à Delevoye : “Donnez des chiffres, même s’ils sont approximat­ifs !” » s’agace un député centriste. « Il l’aurait bien fait, souffle un proche du dossier. Mais Matignon a mis son veto. » Les yeux rivés sur les dépenses, le Premier ministre ne veut pas ouvrir le porte-monnaie. Pas tout de suite. Résultat, dans l’opinion, un sentiment s’installe : « tout le monde va y perdre ». « Ça tient à une grande dose d’amateurism­e du gouverneme­nt, regrette Pierre Ferracci, un proche de Macron, fin connaisseu­r des dossiers sociaux. Il ne suffit pas de dire que cette réforme va être équitable. L’équité, il faut la construire. Et ils en sont incapables. » Même constat sévère formulé par un conseiller : « La difficulté de la réforme des retraites, c’est que ceux qui yperdent ou pensent y perdre se reconnaiss­ent et ceux qui y gagnent ne le voient pas. On se fracasse sur le réel et sur la question que les gens posent : “Pour moi, qu’est-ce que ça change ?” Le débat ne va pas au fond des choses. »

Dilettanti­sme ? Volonté délibérée de rester dans l’ambiguïté ? Le résultat est délétère : la défiance envers cette réforme souvent qualifiée de « mère des réformes » grandit. Les opposition­s se multiplien­t.

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