Grands Reportages

Deux loques…

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C’est ce qui me vient à l’esprit en tournant la tête, lorsque je les aperçois – nos enfants de trois et six ans – avachis contre le marbre blanc d’une arche, alors que je tente de leur faire toucher du doigt la magnificen­ce de la Grande Mosquée de Mascate, créée en 2001 pour le sultan Qaboos et joyau de la capitale omanaise… Peine perdue : eux ne recherchen­t que la fraîcheur relative des pierres leur permettant d’échapper à la chaleur tandis que nous débarquons tout juste des rigueurs de l’hiver alpin. Lorsqu’on voyage avec des enfants en bas âge, la règle numéro un s’intègre très rapidement : revoir ses prétention­s à la baisse… Laisser leurs chaussures à l’entrée et déambuler pieds nus les excitent davantage. Admirer, petit nez en l’air, le plus grand chandelier du monde, en forme de minarets de cristal Swarovski sertis d’or vingt-quatre carats : voilà qui ressemble à un conte des Mille et une nuits. À cet âge-là, on s’amuse tout autant d’une empreinte dans le sable que d’une piscine au sommet d’un gratte-ciel, d’une crotte de dromadaire que d’un plat de dattes de bienvenue (si possible pas dans cet ordre-là), d’un oursin vivant dans la main que d’une énorme glacière remplie de sodas frais…

LÂCHER LA BRIDE…

Dans un souci d’intégratio­n, nous filons au souk de Muttrah, l’un des quartiers de Mascate, pour dénicher les habits traditionn­els des petits Omanais : tuniques et foulards-chèches qu’ils porteront la plupart du temps. Les enfants me lâchent la main pour atterrir dans celle de Salim. Leur grand copain, notre guide. Rien que la vision de sa dishdasha (tunique) bleu-gris leur fait décrocher un sourire béat. Ils ne se comprennen­t pas – Salim communique avec nous en anglais – mais s’entendent à merveille. Salim est aux petits soins pour nos apprentis voyageurs. Même quand les pistes de sable que nous empruntons en 4x4 leur

font l’effet d’un grand huit, estomac au bord des lèvres et petite tête ballotant dans tous les sens. Au lieu de déchiffrer sa page de Gafi le fantôme Anouk se gargarise : « As-sâlam alaykoum, Wa alaykoum as-sâlam »… Un bon début lorsqu’il s’agit de lier connaissan­ce avec les petits Bédouins de notre famille d’accueil des dunes de Sharqiya, sous la tente en plein désert. Au programme : essayage des masques faciaux dédiés aux femmes (le barka) qui leur couvrent le front, le nez et le haut des lèvres. « On dirait Batman », chuchote Tanguy… Puis applicatio­n de henné sur les mains où Anouk tente de mémoriser les motifs traditionn­els – qu’elle reproduira sur sa peau au marqueur… Sultan et Alya ont presque le même âge que nos enfants. Ensemble, ils courent chercher des dromadaire­s semi-sauvages… Dur dur de passer la bride aux bestiaux !

MOMENTS MAGIQUES DE COMMUNION

En route vers le sud du pays, en longeant cette côte réputée pour sa fabuleuse barrière de corail. Une courte randonnée nous permet d’atteindre un surplomb dominant Sur, charmante ville aux murs blancs. Dans le silence des heures chaudes, un spectacle digne des plus beaux documentai­res animaliers s’offre à nous : de grosses taches fendent lentement le turquoise de la baie. « Des tortues géantes ! » s’écrie Anouk. « Qu’est-ce qu’on attend, maman ? » glisse Tanguy dans un bâillement. Il faut patienter jusqu’à la nuit noire pour avoir le privilège d’observer la ponte saisonnièr­e des tortues vertes, sur la plage protégée de Ras Al Jinz qui constitue l’un des plus importants sites au monde. Dans le faisceau des frontales, un mastodonte à carapace de près de cent vingt kilos se traîne hors de l’eau, creuse péniblemen­t avec ses nageoires avant de pondre ses oeufs, les recouvrir et aussitôt retourner vers la mer. À quelques pas, des oeufs sont en train d’éclore. Pour les bébés tortues, le parcours du combattant débute face aux prédateurs qui guettent : mouettes, crabes, renards… Restés dans l’obscurité à l’écart du groupe, Tanguy et moi pataugeons dans l’eau. De petites tortues entreprenn­ent de nous monter sur les pieds ! Nous ne bougeons pas et chérissons ce moment magique de communion avec la nature. Happés par une vague, les bébés repartent dans la bonne direction : vers le grand bleu.

DANS LA FRAÎCHEUR DU WADI

Les enfants quittent à regret le littoral et, avec lui, la perspectiv­e de baignades. Direction les paysages montagneux de la chaîne du Hajar, par une route en lacets, jusqu’au Djebel Shams culminant à 3 074 mètres. « Ne me lâchez pas la main ! » Depuis le plateau, des bourrasque­s de vent rendent périlleuse notre balade « sensations » au bord d’un gouffre cyclopéen qui plonge mille cinq cents mètres sous nos pieds. La version omanaise du Grand Canyon ! C’est encore par les sentiers que nous rejoignons les oasis-forteresse­s qui font le charme du djebel Akhdar. « Marre de marcher » entonnent-ils en choeur… Avec l’espoir de trouver une solution à la crise, nous pénétrons dans la palmeraie d’Al Hamra et son fantastiqu­e écomusée. Dans un tourbillon de couleurs, la vieille Uteïma nous habille de la tête aux pieds en costumes locaux, Zuwema se lance dans une mélopée du fond des âges tandis que la malicieuse Saïda marque les enfants d’un trait jaune sur le front et leur apprend à faire cuire des galettes… avant de les enlacer chaleureus­ement. À l’heure du déjeuner, sous un grand ciel bleu, nous nous fondons dans la masse des petites familles qui se dirigent, paniers et glacières à la main, vers le Wadi Shab. Vallées creusées par les rivières, les wadi d’Oman sont idéaux pour venir pique-niquer les jours de repos. « Ben maman, qu’est-ce que tu fais ? » Comme mes voisines d’un jour, je me baigne habillée. Le lendemain, nous passons sur le pont qui enjambe le Wadi Shab : les pluies nocturnes ont déclenché une crue. Le canyon aux petites piscines turquoise n’est plus qu’un impétueux torrent de boue qui dévale jusqu’à la mer ! Dans la solidarité générale, de jeunes hommes nous aident à traverser les routes bloquées par les rivières, portant les enfants sur leurs épaules.

AVEC LES DAUPHINS DU MUSANDAM

Nous parvenons à nous envoler à temps pour le Musandam, cette péninsule à la pointe nord-est des Émirats arabes unis qui, séparée du reste du pays, appartient malgré tout à Oman. À quai, un véritable dhow (boutre en bois) attend nos pirates en herbe. Avec le confort suffisant pour vivre une escapade digne de Sindbad le marin : un grand plateau de fruits, des couverture­s pour dormir sur le pont, à la belle étoile. Après l’agitation du détroit d’Ormuz (corridor stratégiqu­e pour le transit du pétrole), le bateau pénètre dans les eaux calmes du golfe d’Oman. Le visage des enfants reprend une couleur acceptable. Les habitants des lieux ne tardent pas à montrer le bout de leur bec, encouragés par nos sifflement­s : des dauphins par dizaines ! Ils restent nos fidèles compagnons durant nos quelques jours de navigation à travers les « fjords » du Musandam, hautes montagnes culminant à plus de deux mille mètres. « Vous avez prévu de la nourriture ? » demande le capitaine du bateau, égyptien. Devant nos mines penaudes, Ghareb jette une ligne qu’il laisse traîner tandis qu’il tient la barre. En hissant un énorme barracuda (qui nous fera deux dîners), Ghareb s’entaille les mains jusqu’au sang : détail qui marquera davantage les enfants que la diversité de poissons multicolor­es observée lors de nos baignades ! Anouk monte à la proue et crie aux boutres qui nous croisent : « Je suis la reine du monde ! » Tant qu’on ne percute pas un iceberg, ça me va…

 ??  ?? Entre un li oral idyllique et une chaîne de montagnes sauvage, Oman présente également une zone déser que de dunes dorées où il fait bon marcher.
Entre un li oral idyllique et une chaîne de montagnes sauvage, Oman présente également une zone déser que de dunes dorées où il fait bon marcher.
 ??  ?? En compagnie de notre guide Salim, la famille bédouine Luhebi nous fait essayer les barkas, les masques faciaux portés par les femmes.
En compagnie de notre guide Salim, la famille bédouine Luhebi nous fait essayer les barkas, les masques faciaux portés par les femmes.
 ??  ?? Randonnée aqua que et baignade revigorant­e le long des vasques du Wadi Damm.
Randonnée aqua que et baignade revigorant­e le long des vasques du Wadi Damm.

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