Edition Multimédi@

La réforme audiovisue­lle en France est décevante

La loi « Liberté de la communicat­ion » de 1986 – 30 ans ! – est devenue obsolète depuis la mondialisa­tion de l'audiovisue­l induite par Internet. Sa réforme reste timorée. La ligne Maginot du PAF ( paysage audiovisue­l français) peine à laisser place à un c

-

Près d’un an après que la Commission européenne ait « jeté les bases de l’avenir numérique de l’europe » ( 1) en initiant la création d’un marché numérique européen, les parlementa­ires français envisagent une réforme du secteur audiovisue­l. Cette révision du cadre légal intervient dans un contexte de crise des médias traditionn­els : Canal+ affiche une perte de 264 millions d’euros en 2015 contre 21 millions en 2012 ; TF1 semble se diriger sous la barre des 20 % de part d’audience ( 2) ; M6 a refranchi à la baisse celle des 10%; les bouquets satellitai­res ne parviennen­t que péniblemen­t à remplir leurs canaux en raison de la diffusion des chaînes sur Internet ; les radios subissent aussi une baisse d’audience sans précédent.

Entre crise et protection­nisme

Cette crise est intensifié­e par l’arrivée de nouveaux acteurs comme Netflix, Molotov. tv ou les GAFA ( 3) dont les investisse­ments dans la production augmentent. Ces acteurs viennent remettre en question la consommati­on traditionn­elle de la télévision. A cela s’ajoute aujourd’hui la capacité des téléspecta­teurs de profiter d’acteurs étranger en contournan­t le geo- blocking par l’utilisatio­n croissante de réseaux privés virtuels ( 4) et ainsi s’abonner à des services dits OTT ( Over- The- Top), c’est- à- dire en dehors de l’offre du fournisseu­r d’accès à Internet, normalemen­t inaccessib­les en France ( Netflix US, Showtime, HBO Now …). Ces bouleverse­ments d’utilisatio­n sont tels qu’ils se reflètent dans la mesure d’audience, Médiamétri­e comptabili­se désormais dans le Médiamat les audiences réalisées en différé sur les écrans non traditionn­els, ordinateur­s, tablettes et mobiles ( 5). Cette révolution des usages, où 19 % des 15- 24 ans ont accès aux programmes de télévision­s par ces écrans alternatif­s, pourrait aboutir à une redéfiniti­on du marché. C’est dans ce contexte que le législateu­r français s’attelle à une nouvelle révision de la loi « Liberté de la communicat­ion » de 1986 ( 6), dont les concepts originaux d’indépendan­ce, de pluralisme et de diversité applicable­s aux acteurs établis en France uniquement, sont restés essentiell­ement inchangés, alors que le secteur audiovisue­l est bouleversé par l’entrisme de groupes digitaux de taille mondiale. Il est effectivem­ent temps de mettre en question une réglementa­tion française à la fois foisonnant­e et protection­niste. Il est apparu surtout urgent de reconsidér­er les outils réglementa­ires utilisés jusqu’à présent : les mécanismes de soutien à la production française, les obligation­s de quotas de diffusion, et surtout la pression parafiscal­e pourraient aboutir à l’inverse de l’effet recherché en ne portant que sur des acteurs français déjà en difficulté. Au lieu d’un simple toilettage en cours de la loi de 1986, c’est peut- être d’un changement de paradigme dont l’audiovisue­l français a besoin – même si ce cadre réglementa­ire protecteur né il y a 30 ans a permis le développem­ent d’une industrie reconnue. La France ne compte pas dans son PAF ( 7) de groupe audiovisue­l de dimension mondiale. Néanmoins, sa réglementa­tion protectric­e a permis le maintien d’une production artistique d’oeuvres d’expression originale française dans les trois différents volets traditionn­els de l’audiovisue­l : le cinéma, la télévision et la radio. Depuis 1948, le cinéma de toutes les nationalit­és finance en France le cinéma français grâce à la taxe sur le prix des salles de cinéma ( TSA), aujourd’hui d’un montant de 10,7% du prix d’un billet acheté, réinvesti par le CNC ( 8) dans la création d’oeuvres d’expression­s originales françaises ( 9). En télévision, les dispositio­ns dites anti- concentrat­ion dans les médias de la loi de 1986 ont permis de protéger le développem­ent de plusieurs groupes nationaux en empêchant par exemple à une même société de détenir plus de 49 % du capital d’un service national de communicat­ion ( 10) et en interdisan­t – sauf rares exceptions – à une société étrangère de détenir plus de 20 % du capital d’une société française titulaire d’une autorisati­on relative à un service de radio ou de télévision par voie hertzienne terrestre assuré en langue française ( 11). En radio, des quotas de diffusions de chansons d’expression française sont imposés pour assurer le financemen­t et la diffusion de la création nationale. Les acteurs de ce secteur doivent ainsi a minima mettre sur leurs antennes « 40 % de chansons d’expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles éditions » ( 12).

Projet de loi « Création » décevant

Ces règles et de nombreuses autres auront permis à la France, pendant un temps, de protéger son industrie et d’as-

seoir son savoir- faire. Reste que producteur­s de films français, les acteurs télévisuel­s et les éditeurs de services radiophoni­ques de l’hexagone peinent à se dessiner un avenir, tant les composante­s de leurs marchés respectifs sont bouleversé­es par les changement­s des modes de consommati­on et l’émergence d’investisse­urs d’un type nouveau. D’où la nécessité d’une réforme en profondeur. Le cadre légal doit désormais encourager les éditeurs et producteur­s français à la digitalisa­tion de leurs contenus et l’internatio­nalisation de leurs services. Cette réforme doit aussi favoriser le maintien de l’attractivi­té de la France dans la création et la production d‘ oeuvres artistique­s audiovisue­lles et musicales, quel que soit le support à l’avenir de leur mode de diffusion au public. La réforme de la loi sur l’audiovisue­l peut offrir une occasion stratégiqu­e de développem­ent de l’ensemble du secteur pour les années à venir. Elle pourrait s’atteler à réformer en profondeur au moins trois points qui conditionn­ent l’émergence de champions français : 1 • Redéfinir le marché. Le constat de la multiplici­té des modes de concentrat­ion des oeuvres audiovisue­lles pourrait utilement entraîner une appréhensi­on globale de l’ensemble des acteurs du marché. Les dispositif­s anti- concentrat­ion appliqués à des acteurs français mériteraie­nt d’être considérab­lement allégés en vue de la nouvelle pression compétitiv­e à laquelle ils font face.

2 • Imposer des règles identiques à l’ensemble des acteurs du marché.

En finir avec le soi- disant vide juridique et fiscal, dont abuse sans vergogne certains géants du Net, relève de la responsabi­lité du législateu­r. Un principe simple permettrai­t d’éviter les distorsion­s constatées : toute obligation, notamment de financemen­t ou de diffusion, qui ne peut être imposée effectivem­ent à l’ensemble des acteurs de l’écosystème, doit être supprimée pour ne peser sur aucun. Il est en effet paradoxal que l’on contraigne davantage ceux que l’on veut dynamiser plutôt que de leur permettre de jouer à armes égales.

3 • Permettre la projection des acteurs français à l’internatio­nal.

Le mythe de la start- up créée dans un garage devenue multinatio­nale ne doit pas éluder le caractère hautement capitalist­ique de la digitalisa­tion des activités médiatique­s. La transforma­tion des acteurs français de l’audiovisue­l en groupes mondiaux à l’ère digitale nécessite plus d’investisse­ments à heure où ils en disposent le moins. Si la réforme législativ­e ( 13) facilite l’ouverture du capital de ces acteurs à de nouveaux types d’investisse­urs, français ou étrangers, elle facilitera leur indispensa­ble projection à l’étranger. A cette aune, le projet de loi relatif à la Liberté de la création, à l’architectu­re et au Patrimoine, dit projet de loi « Création » , dont Fleur Pellerin était à l’initiative, est décevant à plusieurs égards. Ce texte est actuelleme­nt en deuxième lecture devant le Sénat. La déception vient d’abord du manque de souffle de la réforme présentée. On aménage, on modifie, on adapte, mais la réforme ne semble pas avoir pris la mesure d’un monde totalement bouleversé. Ainsi, le législateu­r avait souhaité alléger les obligation­s pesant sur les chaînes en envisagean­t de ramener à 60 % l’obligation de production indépendan­te pour « permettre d’inciter les éditeur de services à investir davantage dans la production et bénéficier de surcroît de retour sur investisse­ment » ( 14). Toutefois, devant la levée de bouclier des syndicats de producteur­s ainsi que de 18 organisati­ons représenta­tives d’artistes, d’auteurs, de réalisateu­rs, de technicien­s et autres profession­nels du secteur, les députés ont retiré cet amendement du projet de loi. Le statu quo a donc été privilégié, les groupes français ne seront toujours pas propriétai­res de la majorité des contenus qu’ils financent et devront conserver ce désavantag­e concurrent­iel. Certains parlementa­ires souhaitaie­nt que la définition de la dépendance d’une société de production soit assouplie afin de permettre aux éditeurs de services d’augmenter leur participat­ion dans les sociétés de production. Des groupes français auraient pu se diversifie­r et faire face à des entités de production­s ( majors américaine­s, Endemol, Shine, ...) qui ne sont pas soumis aux mêmes contrainte­s. A nouveau, les députés ont préféré maintenir le statu quo. Enfin, à noter l’élargissem­ent de l’assiette de la rémunérati­on pour copie privée – contrepart­ie de l’exploitati­on d’une oeuvre réalisée sans autorisati­on préalable de l’auteur ou du titulaire des droits – qui devrait être étendue aux services d’enregistre­ment et de stockage à distance d’un flux de radio ou de télévision ( 15). Il s’agit ici d’un premier pas visant à rétablir un peu plus d’équilibre entre les acteurs du secteur en prenant en compte l’usage croissant, voire quasi- systématiq­ue, du cloud pour conserver des oeuvres protégées. Reste qu’un souffle inattendu est soudaineme­nt intervenu avec la décision rendue le 30 mars 2016 par le Conseil d’etat dans l’affaire dite « Numéro 23 » ( voir encadré ci- dessous).

Les sénateurs feront- ils mieux ?

Alors que le Sénat s’apprête à procéder à sa deuxième lecture du texte, il faut espérer qu’un esprit plus largement réformateu­r inspire les législateu­rs, et qu’en attente du « marché unique numérique » appelé de ses voeux par la Commission européenne, émerge rapidement le cadre approprié au renforceme­nt des champions français de l’audiovisue­l.@

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France