Dimanche Ouest France (Vendee)
« Sans les femmes, l’Église s’effondre »
Geneviève Decrop, sociologue, a participé à la commission d’études sur la place des femmes dans l’Église. Malgré leur place cruciale dans le quotidien des paroisses, rien ne semble bouger.
Quelle est la place des femmes dans l'Église catholique, aujourd'hui en France ?
Il faut distinguer l’Église en tant qu’institution hiérarchique, majoritairement colonisée par des hommes – qu’ils soient clercs ou laïcs d’ailleurs – de l’assemblée des fidèles. Je ne sais pas si la majorité des membres de cette assemblée de fidèles sont des femmes, mais ce sont bel et bien majoritairement des femmes qui l’animent, la font vivre.
Que font- elles ?
Elles sont extrêmement actives. Elles font marcher l’église de base. Ça va des bouquets de fleurs à l’animation de la catéchèse ou des conseils paroissiaux. Dans ces derniers, il y a beaucoup de femmes, mais elles ne sont pas forcément dans des positions de pouvoir. Lorsqu’il y a du pouvoir à gagner, ce sont plutôt les hommes qui le prennent.
Comment l'explique-t- on ?
Les prêtres sont très peu nombreux, ils couvrent beaucoup d’églises, particulièrement en milieu rural. Il y a à la fois un vieillissement important de la pratique, des fidèles de plus en plus âgés, et en même temps une désertification : comme il n’y a pas de curé, les croyants s’organisent avec les moyens du bord. Et c’est là qu’on retrouve beaucoup les femmes. Sans les femmes, l’Église s’effondre.
Cette importance des femmes sur le terrain ne se traduit pas dans la face visible de l'Église…
C’est une organisation très pyramidale, avec une distribution du pouvoir qui tranche avec nos régimes républicains démocratiques. Le pouvoir qui compte est capté par les clercs, donc uniquement par des hommes. Un des scandales, par exemple, c’est que les moniales, les religieuses, sont elles aussi très écartées du pouvoir : les couvents de femmes ne peuvent même pas célébrer la messe sans un homme, ce qui est quand même fou ! Elles sont considérées comme laïques.
Que dit le dogme ?
Le pouvoir du prêtre, du clerc, repose, selon le dogme, sur le fait que c’est lui qui sert l’Eucharistie : il consacre les hosties, transforme, selon la doctrine, le vin en sang et le pain en corps du Christ. Il fait le sacré, le sacrifice. Or, disent les théologiens, Jésus étant du sexe masculin, seul un mâle peut faire le sacré. Et c’est de cette fabrication du sacré, qui est au coeur des offices chrétiens catholiques, que tout le clergé tire son pouvoir. Et pour l’instant le clergé ne lâche rien : même le diaconat (plus bas des échelons des clercs), une idée qui progresse un peu, n’a pas encore été accordé aux femmes.
Et chez les fidèles, y a-t-il une demande d'évolution ?
De la contestation interne, il y en a eu. Mais le gros des fidèles émerge d’un demi- sommeil sur le plan de la compréhension, du savoir sur leur propre religion. On a un problème chez les catholiques – que n’ont pas les protestants – c’est qu’on n’a pas un accès direct aux Écritures. Il y a une mainmise du clergé sur la compréhension des textes, appuyé sur des dogmes extrêmement rigides, ainsi qu’une prolifération de sacrements. Les laïcs, les fidèles, sont tenus dans un état d’ignorance dramatique de leurs propres textes.
Existe-t-il de réels mouvements féministes au sein de l'Église ?
Le féminisme est très récent dans l’Église. Un des déclencheurs récents a été la déclaration, en 2008, du cardinal André Vingt-Trois, alors archevêque de Paris et président de la Conférence épiscopale de France. Interrogé sur la question des femmes dans l’Église il avait répondu : « Il ne suffit pas de porter une jupe, encore faut- il avoir quelque chose dans la tête. » Le sang d’Anne Soupa et de quelques autres théologiennes et intellectuelles catholiques n’a fait qu’un tour : elles ont créé le « Comité de la jupe ».
Quelles ont été leurs actions ?
En mai 2020, Anne Soupa s’est portée candidate à la fonction d’archevêque de Lyon, poste laissé vacant par la démission du cardinal Philippe Barbarin. Le collectif « Toutes apôtres » est alors né pour soutenir d’autres candidatures de femmes – qui n’ont bien évidemment pas non plus été ordonnées – à des postes de clercs.
En 2022, le Comité de la jupe, Toutes apôtres et plusieurs autres associations féministes ont donné naissance à la Commission d’études sur la place des femmes dans l’église (CEPFE). Il s’agit de déterminer si un féminisme catholique peut exister, si le catholicisme n’est pas antiféministe par nature, par construction, voire misogyne. Et d’instruire la question sur les plans théologiques, juridiques, et sociologiques. Un travail qui n’est pas achevé aujourd’hui, en 2024.
Faute d'évolution, n'y a-t-il pas un risque de désertion encore plus forte des fidèles ?
Il y a des femmes, et des hommes, qui pensent qu’on peut faire bouger les choses de l’intérieur, que l’Église n’appartient pas nécessairement aux traditionalistes et aux clercs, mais qu’elle appartient à tous. Et puis il y a celles et ceux qui pensent que rien ne va bouger, qui baissent les bras et qui vont ailleurs.
Entre les deux, il y a tous ceux et celles qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas beaucoup dans les médias, qui inventent de nouvelles pratiques communautaires, de nouvelles manières de célébrer à l’écart, mais qui se disent toujours catholiques.
Quant au risque de désertion des fidèles, l’Église catholique pense à l’échelle du monde, donc si les fidèles sont moins nombreux dans un pays, une région, cela n’empêche pas qu’ils soient plus nombreux ailleurs sur la planète. La papauté pense en siècles, quand il s’agit de son évolution.