Dimanche Ouest France (Vendee)

Ces sportifs français partis étudier aux États- Unis

La France peine parfois à garder ses sportifs pendant leurs études. Alors, certains se tournent vers les États- Unis, où université rime avec entraîneme­nt. Des agences en ont fait leur business.

- Correspond­ance spéciale. « Ici, j’ai l’impression d’être une princesse »

Tout juste 15 minutes. C’est le temps qu’Antoine Tshimanga, 18 ans, peut nous accorder avant de rejoindre son entraîneme­nt… Nous sommes mardi, ce coureur de demi- fond et de crosscount­ry se prépare à une séance intense, sur le stade de l’USA Iowa Central Community College.

Voilà un an qu’il a rejoint ce campus au nord- ouest des États- Unis pour poursuivre un cursus de biologie. Car après une année en faculté de médecine en France, Antoine décroche et renonce aux études dans son pays natal : « Je n’ai pas bien vécu cette année, j’ai dû mettre la course entre parenthèse­s et c’est devenu très compliqué de faire sans. Le sport m’aide à avoir un équilibre dans ma vie personnell­e. Ça me fait tenir » , explique cet athlète de niveau national.

Alors, quand le jeune homme de 18 ans tombe sur les réseaux sociaux sur une publicité pour une agence qui envoie des sportifs outre- atlantique, il n’hésite pas et se lance dans la procédure.

Une procédure qui dure a minima six mois, d’après Enzo Di Benedetto, conseiller pour l’agence France- Athlètes USA.

Le temps de rassembler « tous les bulletins scolaires du jeune depuis la classe de troisième » et de faire un bilan de ses performanc­es sportives. « On va détailler ses caractéris­tiques, établir des statistiqu­es et retracer la chronologi­e de son parcours : dans quel club a-t- il joué ? À quel niveau ? Qu’a-t- il accompli ? »

Une fois le dossier constitué, il sera transmis aux entraîneur­s de plusieurs université­s américaine­s. Ils entrent alors en contact avec le jeune qui choisit son futur campus. Mais le parcours n’est pas encore terminé : « Dès lors qu’ils ont trouvé, on s’occupe de l’inscriptio­n administra­tive et du visa » , détaille Thomas Bruneau, à la tête d’Overboarde­r. Montant de la facture pour les familles : 3 000 euros en moyenne.

Une somme non négligeabl­e mais qui ne semble pas dissuader les sportifs. « Chaque année, ils sont près de 150 à partir, s’enthousias­me Thomas Bruneau, et c’est un chiffre en constante augmentati­on » . Même constat du côté d’Athlectic USA. « En 2022, nous avons envoyé 45 sportifs et là nous sommes déjà à 35, alors que l’année n’est même pas encore finie » , abondait en septembre Claire Chanay, responsabl­e d’Athlectic USA.

Le secret de cette recette ? Tous sont unanimes : la place faite au sport dans les université­s américaine­s. « Aux États- Unis, les campus ressemblen­t à des centres de formation. On a l’impression d’être un joueur profession­nel. Les frais de déplacemen­t sont pris en charge et les enseignant­s sont investis dans le sport » , développe Enzo Di Benedetto. Une réalité que vit actuelleme­nt la footballeu­se Manon Lebargy. La jeune femme, qui aspire à devenir joueuse profession­nelle, a quitté Lille pour poursuivre des études de commerce à la Middle Tennessee State University.

« Ici, j’ai l’impression d’être une princesse. J’ai un kiné et un docteur qui me suivent. Mes crampons et mes maillots sont fournis par l’université et en tant qu’athlète, on est vraiment les stars de la fac’» , raconte cette ancienne joueuse du Losc.

Un confort qu’elle était persuadée de ne pas trouver en France : « Au lycée, dès que je ratais un cours pour un match, je devaism’arranger seule pour le rattraper. » Pourtant, pas question non plus de renoncer aux études : « Je ne pourrai pas vivre toute ma vie du foot, en tant que femme. Il me faut un plan B pour m’assurer une stabilité » , lâche- t- elle, lucide sur les conditions des footballeu­ses profession­nelles.

Cette question d’abandonner les études pour continuer le sport, c’est ce que Claire Chanay appelle le « dilemme français » : « EnFrance, le sport n’est pas reconnu. On ne peut pas aller à l’université de 8 h à 18 h tous les jours et aller à l’entraîneme­nt le soir. »

Thomas Bruneau acquiesce

:

« Tout au long de leur adolescenc­e, ces jeunes font beaucoup de sacrifices pour pratiquer leur sport. Or, en France, quand vient la fin du lycée, ils doivent faire un choix : continuer le sport mais renoncer aux études, ou continuer les études mais arrêter le sport. »

Un constat dur que nuance Baptiste Viaud, maître de conférence­s à l’université de Nantes et chercheur en sociologie du sport. « En France, l’État s’est particuliè­rement investi dans le système du sport de haut niveau. Dans les années 1960, les premières expériment­ations des lycées sport études vont avoir lieu. Elles vont donner naissance aux premiers sport- études et aux pôles espoirs en 1973-1974. Ce régime est largement sous la tutelle de l’État car pour y accéder il faut être reconnu sportif de haut niveau par le ministère des Sports et les conditions peuvent être très restrictiv­es » détaille- t- il.

Un fonctionne­ment qui diffère du modèle américain : « Aux États- Unis, les université­s sport- études coûtent très cher. Malgré l’existence de bourses, l’inscriptio­n dans ces filières dépend largement des conditions socio- économique­s de la

famille. En France, ce sont les titres et les performanc­es qui permettent d’obtenir le statut de sportif de hautniveau. L’accès à ce statut est sélectif, réservé aux « meilleurs », mais aussi protecteur. Il permet d’être indemnisé, d’avoir accès à des infrastruc­tures et à du personnel médical. De ce point de vue, ce système est sans doute moins inégalitai­re que des systèmes plus libéraux, comme celui des États- Unis » renchérit ce sociologue.

« De 20 000 à 100 000 €l’année »

Pour pallier cette problémati­que financière, les agences cherchent à décrocher des bourses pour les futurs étudiants, car aux États- Unis, l’année universita­ire coûte « de 20 000 à 100 000 euros l’année » , selon Claire Chanay.

Dans le meilleur des cas, la bourse paye l’intégralit­é des études : des frais de scolarité au logement, mais dans d’autres la famille doit un reste à charge, s’élevant parfois jusqu’à 10 000 euros par an.

Anna HUOT.

Ce qui m’a vraiment marquée, c’est la possibilit­é de jouer au golf tous les jours tout en suivant mes cours… J’ai en moyenne 3 heures de cours tous les matins, ce qui me laisse le temps de jouer au golf tous les après- midis... Mohea Mansbendel, une Néo- Calédonnie­nne partie rejoindre l’université de Keiser, en Floride, grâce à la société Overboarde­r.

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| PHOTO : PHOTO : GETTY IMAGES VIA AFP À l’image du football américain (ici une rencontre entre les université­s de Nebraska et Rutgers en 2014), le sport universita­ire est roi aux États-Unis.
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