Dimanche Ouest France (Vendee)

Josse, plaisancie­r passionné, piloted’essaidetal­ent

Transat JacquesVab­re. Après sa victoire sur la Transat Jacques Vabre, Sébastien Josse est revenu, pour Anticyclon­e, sur son parcours singulier, toujours guidé par un seul mot : la passion.

- Portrait Valentin PINEAU (avec Laurène COROLLER).

Il avait donné rendez- vous à 10 h, l’heure du petit- déjeuner, à l’hôtel La Pagerie, un établissem­ent quatre étoiles devenu le QG du Team Banque Populaire en Martinique pour l’arrivée de la Transat Jacques Vabre. Un petit coin de paradis situé aux Trois- Îlets, à dix minutes en bateau de Fort- de- France, où il avait eu le droit à son bain de foule avec Armel Le Cléac’h, 36 heures plus tôt, après avoir décroché la victoire en Ultim sur la 16e édition.

Sébastien Josse est arrivé le sourire aux lèvres, rasé de près et les yeux pétillants. Comme si la traversée de l’Atlantique et le tourbillon qui avait suivi son arrivée aux Antilles n’avaient eu aucune prise sur lui. Le skipper de 48 ans a glissé quelques fruits dans son assiette (pastèque, ananas, corossol…), un pain au chocolat et une petite tranche de jambon. Il s’est servi un café puis s’est installé sous les palmiers, dans un transat bleu ciel, à deux pas d’une piscine impeccable, et encore vide.

Il n’a pratiqueme­nt pas touché à son assiette pendant 45 minutes, trop occupé à se raconter. Son rapport aux Antilles a été le point d’entrée. Et pas seulement parce que Sébastien Josse, amateur de bonnes tables, aime la nourriture locale.

« Jamais je ne m’étais imaginé

que j’aurais cette vie »

Le Niçois a débarqué pour la première fois sur cette terre à 18 ans, avec son père. « Son rêve était de traverser l’Atlantique avec l’un de ses enfants, cela s’est passé avec moi lors de la Transat des Alizés (1993), sur le bateau de famille, un Sunrise 34, sourit- il. On était arrivé à Pointeà- Pitre (Guadeloupe) au bout de 25 jours. Les Antilles, il y a 30 ans, c’était le Far West, rien n’était organisé. »

Cette terre inconnue, Sébastien Josse, plus à l’aise sur l’eau que dans une classe d’école, a même eu le droit de la découvrir en totale autonomie. « C’est un cadeau quand votre père vous dit de profiter, poursuit- il. La seule règle, c’était que ça ne coûte pas d’argent. Je devais m’occuper de l’entretien du bateau, de vivre. » Pendant neuf mois, dans la fleur de l’âge, le Breton d’adoption a goûté à l’indépendan­ce et à la liberté, des valeurs qu’il avait déjà chevillées au corps depuis ses premières navigation­s en famille en Méditerran­ée.

« On arrive toujours à trouver des petites astuces, des gens à faire naviguer. Finalement, on vit avec pas grand- chose, on peut pêcher,

prendre des fruits… De la Grenade jusqu’aux îles Vierges, j’ai fait tous les mouillages C’était une expérience incroyable. »

Qui lui a également ouvert des portes.

Lors d’un stop au Marin ( Martinique), Sébastien Josse y a rencontré les dirigeants de Créaline, qu’il a emmenés à Sainte- Lucie. À son retour en France, et après avoir remporté le Challenge Espoir Crédit Agricole, il a reçu un coup de téléphone : « Ilsm’ont appelé pour me dire qu’ils avaient envie de me sponsorise­r. »

Cet appel a marqué un autre tournant dans sa vie. Pour la première fois, et tardivemen­t, Sébastien Josse, 22 ans, se tourne vers la compétitio­n. « Avant, j’étais un vacancier, un plaisancie­r, un yachtman », résume- t- il. 30 ans plus tard, il est aujourd’hui un skipper cité en référence, qui s’est construit un palmarès à en faire pâlir plus d’un : vainqueur du Trophée Jules Verne 2002, triple vainqueur en transat (Transat Jacques Vabre 2013 et 2023 et Transat B to B 2015), 2e de la Solitaire du Figaro 2001, 5e du Vendée Globe 2004-2005, 4e de la Volvo Ocean Race 2006, 3e de La Route du Rhum 2014…

Solitaire, double, équipage, monocoques et multicoque­s, Sébastien Josse, qui déteste la routine, a goûté à tout. « Jamais je nem’étais imaginé que j’aurais cette vie, que je vivrais de la voile. Pour mon père, ce n’était pas un métier, et ce n’est toujours pas un métier. » Pourtant, son fils a bien vécu la profession­nalisation de la course au large.

Sans jamais perdre non plus ce goût pour la plaisance et l’aventure. « L’été, j’ai besoin d’aller faire une croisière en famille pourmeress­ourcer, confie- t- il. La course au large est devenue un autre sport. On est de plus en plus enfermés, obligés de se protéger. L’aventure, c’était avant. Même sur le Vendée Globe, aujourd’hui, les marins sont des pilotes. Je trouve mon compte là- dedans, même si ce n’est pas du tout la voile des années 2000. »

« Être pilote d’essai m’intéressai­t,

kamikaze, non »

À l’initiative du premier Ultim volant, le Maxi Edmond de Rothschild, avec Gitana, Sébastien Josse a également mis sa patte dans la dernière grosse révolution de la course au large. Mais il restera à terre le 7 janvier, moment du départ de l’Arkéa UltimChall­enge, premier tour du monde en solitaire sur ces machines volantes, à Brest.

Son limogeage par Gitana, en février 2019, est le seul gros coup d’arrêt de sa carrière. « Quand on se fait limoger, c’est violent. On est passionné, on y met du coeur. Ce que je disais à l’époque, c’était qu’être pilote d’essai m’intéressai­t. Kamikaze, non. Je me disais que ce que je faisais n’était pas raisonnabl­e, et que ce n’était pas assumé par tout le monde. À partir de là, il y a eu un désaccord et il s’est passé ce qu’il s’est passé. Aujourd’hui, ce qui me rassure, c’est que j’avais un peu raison : ce n’était pas raisonnabl­e de partir sur un tour du monde un an après une mise à l’eau de bateau. Je n’ai pas de rancoeur ou de revanche à prendre. Ce quime motive, depuis 30 ans, c’est la passion. »

Sébastien Josse a depuis retrouvé le plaisir de naviguer. Dans un rôle de l’ombre. D’abord en intégrant le projet de Nicolas Troussel pour le Vendée Globe 2020-2021, puis en devenant le bras droit d’Armel Le Cléac’h.

« C’est la fatalité des choses. Si j’avais eu un sponsor pour repartir en Ultim, je repartais, avoue- t- il. Àun moment, il faut faire des choix, on a une famille à faire vivre. Je me suis dirigé vers un truc plus cool, plus simple, avec moins de pression. Ce quime plaît, c’est que je peux partager et donner. »

Sous « contrat moral » avec Banque Populaire – « un contrat écrit ne sert à rien, quand on veut le casser, on le fait », vestige de l’épisode Gitana –, le natif de Montereau- Fault-Yonne ( Seine- et- Marne) reviendra aux Antilles en 2024, pour y transporte­r la flamme olympique, avant de participer notamment au Trophée Jules Verne.

Pour la suite, Sébatien Josse n’a pas totalement chassé l’idée de retrouver un statut plus important. « J’ai envie de faire de l’Ultim mais trouver un budget pour ça est difficile. Si demain je commence à régresser, si je n’ai plus cette opportunit­é de jouer la gagne, j’arrêterai. Comme ça, je n’aurai eu que le meilleur : les meilleurs bateaux, de super sponsors. Une super vie finalement.

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| PHOTO : LAURÈNE CORROLER Sébastien Josse a invité Anticyclon­e pour le petit-déjeuner, en Martinique.
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