Dimanche Ouest France (Loire-Atlantique)
Le festival Étonnants voyageurs veut
Le festival du livre et du film a retrouvé Saint-Malo et son public pour une 32e édition. En cette année de retrouvailles, Étonnants voyageurs se transporte au chevet de l’Ukraine.
Le festival Étonnants voyageurs s’est ouvert sur l’émotion et les larmes, hier, à Saint-Malo. Celles des organisateurs, orphelins du créateur du rendez-vous littéraire, Michel Le Bris, décédé en janvier 2021. Le premier acte de cette 32e édition, celle des retrouvailles après une année blanche et une autre numérique, a été d’applaudir longuement la photo de l’écrivain breton, « génial fondateur de cette aventure humaine et littéraire» , projetée sur un écran.
Le flambeau a été repris, « avec la même ardeur et le même enthousiasme » pour rassembler 250 écrivains, photographes, réalisateurs, illustrateurs, poètes afin de prendre le pouls du monde. Citant l’écrivain Albert Camus et le poète palestinien Mahmoud Darwich, le nouveau président du festival, Jean-Michel Le Boulanger, a inauguré l’édition par ce tableau : « Il y a des orages, des tempêtes, des bombes, du sang, des personnes qui se noient dans la Méditerranée. Mais il y a aussi des gens qui construisent des humanités, cultivent cette flamme de l’espoir. »
« Meilleur festival du monde »
À l’image de cet apiculteur vivant sur la ligne de front du Donbass, héros du livre Les abeilles grises de l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov, invité d’honneur du festival. Militant pour une meilleure connaissance de l’identité et la culture de son pays, le romancier parcourt le monde depuis l’invasion russe. « Je participe au combat en écrivant et je continuerai jusqu’à la fin de la guerre. »
Sa sixième participation à ce qu’il considère comme « le meilleur festival du monde » était incontournable pour celui qui décrit la barbarie et dénonce l’absurdité des hommes sans jamais se départir de son humour.
Une autre Ukrainienne a quitté Kiev, où elle vit toujours, spécialement pour montrer des images de son pays. Iryna Tsilyk a réalisé un bouleversant documentaire portant le nom d’un poème de Paul Éluard. The Earth is Blue as an Orange suit le quotidien d’Anna et ses quatre enfants vivant dans la zone rouge du Donbass. Passionnés de cinéma, ils décident de se filmer pour témoigner de la vie en temps de guerre, toujours avec sourire et tendresse. « Je suis heureuse que des gens aient choisi de venir voir un documentaire sur la guerre en Ukraine un samedi à 10 h du matin. »
Avec d’autres armes qu’Andreï Kourkov, elle poursuit le même dessein : « Je suis ici alors que des amis se battent en Ukraine. Même les artistes, les écrivains, dont mon mari qui est un auteur reconnu, ont pris les armes. Je me sens parfois inutile, mais raconter notre histoire et lutter pour notre identité et notre culture fait partie du combat. »
« Vaincre les individualismes »
Cette croyance dans le pouvoir des livres et des films pour vaincre les individualismes, les crises et « ceux qui érigent des murs » est l’essence et la raison d’être du festival Étonnants voyageurs depuis 1990. « Michel Le Bris et moi avons toujours voulu trouver des endroits où nos individualités se rencontrent pour créer un « nous » plus grand que nous », témoigne Patrick Chamoiseau, écrivain martiniquais et ami du festival.
Avec cette première journée, l’attachement du public à ce grand rendezvous, qui nourrit l’ambition de « réenchanter le monde » à travers 220 propositions de rencontres et dialogues avec les auteurs invités, n’est plus à démontrer. « Après trente-deux ans de fusion entre Saint-Malo et le festival, nous sommes soulagés de voir que vous continuez à nous aimer », sourit Maëtte Chantrel, cofondatrice du festival. Un nouveau chapitre de ce grand livre s’écrit.