Dimanche Ouest France (Finistere)
L’Europe, entre guerre et paix
« Mais pourquoi parlons-nous si peu de paix en Ukraine ? » Barbe grise, cheveux blancs, visage ridé mais regard vif : le retraité prend la parole alors qu’on débat depuis une heure de l’Europe face à la guerre, dans cet amphithéâtre d’Amsterdam où, devant 300 personnes, l’Institut français organisait cette semaine une série de conférences dans le cadre de son initiative « dialogues européens ».
La réponse de Frans Timmermans ne tarde pas. Calme mais nette. « Parce qu’on ne négocie pas quand on a la tête entre les mâchoires du tigre. » Le diplomate néerlandais (travailliste) , qui fut pendant près d’une décennie Premier vice-président de la Commission européenne, développe sa conviction. « Nous sommes arrivés au bout du bout d’une longue séquence de croissance économique et de stabilité politique en Europe. Et dans le nouvel ordre mondial qui se dessine, le futur de l’Europe se joue sur les champs de bataille de l’Ukraine. Regardez qui soutient Poutine : la Chine, l’Iran, la Corée du Nord. Si Poutine gagne, cela démontrera au monde que ni les USA, ni l’Europe ne sont capables de défendre leurs valeurs et leur voisinage. »
La suite est imaginable. Un boulevard pour les autocrates qui régulent leurs sociétés par le gourdin et les barreaux des prisons. Les voix qui défendent le droit, la démocratie, la liberté d’expression, le respect des personnes, seront réduites au silence.
C’est dans ce contexte que se pose la question des évolutions de notre défense collective européenne. Depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, c’est l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) qui, autour des forces armées américaines, sert de bouclier aux Européens. Mais, redistribution des cartes géopolitiques oblige, la préoccupation majeure des États-Unis – et pas seulement de Donald Trump – a glissé de l’Atlantique au Pacifique, et de la Russie à la Chine.
Cela ne signifie pas que les Américains vont se détourner demain de l’Europe. Mais, à coup sûr, qu’ils attendront des Européens qu’ils montent en puissance sur leur propre capacité de défense. Or, la guerre en Ukraine permet de constater, sur ce plan, à la fois une dynamique nouvelle (formation de soldats ukrainiens, livraisons d’armes…) et des freins persistants : morcellement des systèmes d’armes, extrême lenteur de production et de livraison d’armes et de munitions pourtant promises de longue date. La population et les défenseurs de Kharkiv en mesurent cruellement aujourd’hui les conséquences.
Les Européens votent dans trois semaines. Les listes sont désormais connues. Leurs programmes sont consultables. On y regardera avec attention deux points qui seront déterminants pour notre futur. Primo, la position qu’ils adoptent face à la Russie (et les votes de leur famille politique sur le sujet dans le Parlement sortant). Secundo, l’engagement qui est leur dans une politique ouverte au renforcement de la coopération entre les pays membres ou bien, à l’inverse, la priorité donnée au repli sur le pré carré national. Ce qui, en l’occurrence, revient à s’enfermer chez soi quand l’incendie menace la maison.