Dimanche Ouest France (Finistere)

Jean-Noël Barrot : « Nous sommes Pilonnés par la propagande russe »

Influence de la France et offensive russe contre nos démocratie­s : le ministre délégué chargé de l’Europe, alerte sur ce qui se joue autour des Européenne­s, le 9 juin.

- Propos recueillis par Stéphane VERNAY.

On parle beaucoup d’ingérence étrangère autour du scrutin du 9 juin. Réalité ou menace fantasmée ?

Réalité ! Nous sommes pilonnés par la propagande de la Russie de Vladimir Poutine et de ses courroies de transmissi­on. Il ne se passe pas une semaine sans que la France ne soit la cible de manoeuvres coordonnée­s et délibérées pour perturber le débat public et interférer dans la campagne pour les élections européenne­s.

Vous pouvez citer des cas récents ?

Le détourneme­nt du site du ministère des Armées pour un appel fictif à 200 000 hommes à aller combattre en Ukraine. Celui du ministère de l’Intérieur pour l’annonce fictive d’un resserreme­nt des conditions d’accueil des réfugiés ukrainiens. Citons aussi les campagnes de fausses nouvelles sur la reprise de la tuberculos­e en France du fait de l’accueil de soldats ukrainiens dans nos hôpitaux, ou sur la prétendue vague d’annulation de nuitées d’hôtel en raison du contexte sécuritair­e en France.

Ce pilonnage, qui touche tous les pays de l’Union, peut-il vraiment fausser les résultats du 9 juin ?

Le risque est avéré. Cela s’est produit en Slovaquie aux élections nationales de septembre. Pendant les quarantehu­it heures qui précédaien­t le scrutin, un faux enregistre­ment audio impliquant l’un des candidats dans une opération de manipulati­on du vote s’est propagé sur les réseaux sociaux. Ce candidat a perdu.

Comment peut-on se prémunir de ces manipulati­ons ?

Nous nous sommes dotés, dès 2021, d’un service unique en Europe, baptisé Viginum. Placé sous l’autorité du Premier ministre, en lien avec les services des ministères concernés – dont celui de l’Europe et des Affaires étrangères – il repère les campagnes de désinforma­tion et en identifie les auteurs. En février, Stéphane Séjourné a annoncé le démantèlem­ent d’un réseau de plus de 200 faux sites internet, conçus pour perturber le débat public en France, en Allemagne et en Pologne.

L’autre menace qui pèse sur l’élection, c’est l’abstention. Comment convaincre les Français d’aller voter ?

Le gouverneme­nt est pleinement mobilisé pour informer les Français de la date et des modalités du scrutin, en utilisant tous les canaux de communicat­ion, y compris les réseaux sociaux ou les influenceu­rs. Nous avons pris une mesure inédite pour simplifier le vote : il est possible de faire une procuratio­n 100 % en ligne, sans avoir à se déplacer au commissari­at ou à la gendarmeri­e. Je présentera­i ces dispositif­s mercredi.

Vous allez mettre des influenceu­rs à contributi­on ? Lesquels ?

César Culture G, dont les vidéos de géopolitiq­ue ou de culture générale sont regardées par des millions d’abonnés. Et nous avons un partenaria­t clé avec les acteurs de la série Parlement, sur France Télévision­s, qui a déjà permis à 5 millions de nos concitoyen­s de découvrir les coulisses du fonctionne­ment des institutio­ns européenne­s. Nous devons mettre en avant des réalisatio­ns concrètes permettant aux gens de toucher du doigt ce que l’Europe

peut leur apporter au quotidien, notamment dans les territoire­s. Je lance un appel à l’ensemble des maires de France pour qu’ils désignent un référent Europe dans leur conseil municipal, qui sera le trait d’union entre l’action menée au plus près de nos concitoyen­s, dans nos collectivi­tés, et celle menée à Bruxelles et Strasbourg qui les touche directemen­t.

Vous étiez à Bruxelles jeudi. Quel est l’état d’esprit du Conseil européen à moins de deux mois des élections ?

Il a permis au président de la République de rallier, une nouvelle fois, nos partenaire­s à la vision française de ce que doit être notre avenir commun. Doter l’Europe d’une politique industriel­le ambitieuse dans les secteurs d’avenir, de l’Intelligen­ce artificiel­le jusqu’aux nouvelles énergies en passant par les biotechnol­ogies ou le quantique. Pour cela, libérer l’épargne des Européens, aujourd’hui tentés d’investir dans d’autres régions du monde. Et soutenir l’Ukraine aussi longtemps et intensémen­t que nécessaire.

Les bombardeme­nts entre Iran et Israël des derniers jours ont-ils pesé sur les échanges ?

Les vingt-sept pays membres ont condamné, avec la plus grande fermeté, l’attaque de l’Iran du week-end dernier, en assurant Israël de leur solidarité. Nous travaillon­s à la désescalad­e, il est essentiel d’éviter un embrasemen­t régional. Il a également été décidé d’élargir et de renforcer les sanctions contre les acteurs qui, en Iran, facilitent le transfert de drones et de missiles vers la Russie de Vladimir Poutine.

L’Union européenne arrive-t-elle aujourd’hui à prendre de vraies positions communes, à vingt-sept, sur le Proche-Orient ?

Oui. Fin mars, le Conseil européen s’était déjà prononcé en faveur d’une trêve humanitair­e immédiate entraînant un cessez-le-feu durable à Gaza ; de la libération inconditio­nnelle des otages israéliens ; de l’achemineme­nt sans entrave de l’aide humanitair­e sur place ; et de sanctions à l’encontre des responsabl­es du Hamas comme des colons israéliens extrémiste­s violents.

C’est la France qui donne le tempo à ses voisins européens sur ces sujets ?

La France n’a jamais été aussi influente en Europe que ces sept dernières années.

Ces sept dernières années ? Depuis la première élection d’Emmanuel Macron, donc ?

Je pense d’abord au discours prononcé par le président de la République

en 2017, à la Sorbonne. Il y avait pris à bras-le-corps toute une série de sujets qui tétanisaie­nt l’Europe à l’époque. Il a donné un nouveau tempo au concert européen. Mais aucune des avancées obtenues depuis n’est tombée du ciel. Il a fallu toute la combativit­é et la force de conviction du Président et de nos députés européens pour rallier nos partenaire­s à nos positions.

Quelles sont-elles ces avancées obtenues depuis 2017 ?

La première de toutes, c’est la victoire idéologiqu­e de la souveraine­té européenne. Cette idée française, au coeur du discours de la Sorbonne et accueillie alors avec une certaine distance, s’est répandue dans toute l’Europe. Nos partenaire­s se la sont appropriée, considéran­t que l’Europe devait être, dans le monde dans lequel nous entrons, notre assurancev­ie contre le risque de décrochage économique et industriel, contre le risque du retour de la guerre, contre le dérèglemen­t climatique. Et des engagement­s très concrets ont été pris en 2017 sur des enjeux face auxquels l’Europe semblait impuissant­e : travailleu­rs détachés (souvenez-vous du « plombier polonais ») ; géants du numérique ; migrations ; salaire minimum européen ; taxe carbone aux frontières ; réciprocit­é dans les échanges commerciau­x… Tout cela, qui paraissait utopique en 2017, est devenu réalité.

On ne s’en souvient pas beaucoup en France. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron refera un discours sur l’Europe, jeudi prochain, à la Sorbonne ?

Emmanuel Macron avait dit, dans son discours de 2017, qu’il rendrait compte de l’avancée de tous ces chantiers au printemps 2024. Il rappellera les victoires acquises, qui démontrent qu’il est possible de reprendre le contrôle en Europe, de la transforme­r en profondeur, puisque nous l’avons fait, et il donnera sa vision des priorités d’action pour les années qui viennent, à l’orée d’un siècle très différent de ce que nous imaginions il y a sept ans.

Qu’est-ce qui a fondamenta­lement changé ?

Des risques majeurs se sont matérialis­és. Le retour de la guerre. Les effets concrets du dérèglemen­t climatique dans notre quotidien, comme on peut le voir dans le Pas-de-Calais inondé ou dans les Pyrénées asséchés. Le risque d’un décrochage industriel et technologi­que, avec la Chine et les États-Unis notamment, qui menace la prospérité européenne, et donc le pouvoir d’achat des Français. Face à ces défis, nous devons être acteurs, pas spectateur­s.

Des Français qui restent très sceptiques sur l’Europe, d’après les résultats du dernier eurobaromè­tre. Comment l’expliquez-vous ?

Je crois qu’il est temps de soustraire cette campagne pour les élections européenne­s aux spéculatio­ns des sondeurs et de la rendre aux Français. Ils veulent parler d’Europe, et ils ont bien compris que l’enjeu fondamenta­l de l’élection du 9 juin sera de déterminer qui peut porter haut les couleurs de la France et influer au Parlement européen sur le destin de l’Europe. Je ne vois qu’une candidatur­e pour le faire : celle de Valérie Hayer et de ses colistiers.

Si les Français veulent qu’on leur parle d’Europe, c’est une campagne dans laquelle on parle beaucoup de politique française. Pourquoi ?

Certains le font faute de pouvoir démontrer qu’ils auraient une influence en Europe s’ils étaient élus. Jordan Bardella, qui s’est complèteme­nt désintéres­sé du mandat que les Français lui avaient confié il y a cinq ans, n’a aucune chance de peser dans les débats européens dans les années qui viennent. François-Xavier Bellamy ou Raphaël Glucksmann, qui ont pourtant participé à la majorité du Parlement européen, étaient isolés au sein de leurs propres groupes politiques, et donc incapables de faire entendre la voix française. Alors que c’est ce qui compte véritablem­ent pour les Français : avoir, à Bruxelles comme à Strasbourg, une équipe de France capable de peser sur les débats et faire gagner nos idées.

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Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.
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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI / OUEST-FRANCE
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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
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PHOTO STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE

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