Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Le Guide Bleu, presque deux siècles De voyages érudits
Les marques de l’été. L’histoire du célèbre guide d’Hachette remonte au milieu du XIXe siècle. Depuis, il n’a cessé d’évoluer sans abandonner sa ligne originelle d’exigence et de précision.
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En novembre 2024, la maison Hachette donnera un nouvel élan à ses célèbres Guides Bleus. Nouvelle forme, nouvelle maquette, nouveau style…
L’aventure continue donc pour ces fidèles compagnons de voyage à l’histoire aussi longue que palpitante.
Qui dit tourisme, dit guide touristique…
Celle- ci commence un beau jour de 1841, dans la France de LouisPhilippe. Cette année-là, Adolphe Joanne, un jeune avocat devenu journaliste, Parisien mais originaire de Dijon (Côte- d’Or), publie un premier guide remarqué, Itinéraire descriptif et historique de la Suisse, édité par la Librairie Paulin, rue de Seine. L’auteur n’a beau avoir que 28 ans, son petit pavé bleu foncé de 633 pages est impressionnant d’érudition et de précision.
Encouragé par ce succès, le Bourguignon sort d’autres guides de voyage, culturels et pratiques, que l’on peut présenter comme des « répertoires complets de toutes les beautés pittoresques, artistiques, historiques et monumentales ».
Durant des siècles, le voyage était surtout l’affaire des riches à carrosse, des marins à navire et des soldats à pied. À partir de la fin du XVIIIe siècle, la notion de tourisme commence à émerger.
« C’est quand qu’on va où ? » demandait Renaud, en chanson, il y a trente ans. Au XIXe, la grande question des voyageurs, c’était plutôt : « C’est comment qu’on voit quoi ? »
Pour se diriger dans leur périple, les voyageurs d’avant le GPS et « OK Google », avaient un ouvrage de prédilection : le Handbuch de l’Allemand Reichard.
Joanne signe chez Hachette
Louis Hachette a bien compris – même s’il n’a pas été le premier – que la révolution du chemin de fer ouvrait des portes à la littérature. Avec le double objectif d’« amuser honnêtement et d’être utile » aux voyageurs, il a déjà créé, en 1853, la « Bibliothèque des chemins de fer ». Cette collection d’ouvrages « qui se vendent dans les principales gares des chemins de fer et chez les principaux libraires », comprend quelques guides mais aussi des romans, des pièces de théâtre, des livres d’histoire, des biographies, des livres pour enfants, etc.
Certain du potentiel des guides touristiques de Joanne, Louis Hachette se lance dans l’aventure en 1855. Il rachète la collection Richard-Maison et signe un contrat avec Adolphe Joanne. Il connaît, bien sûr, le travail et la réputation de son nouveau poulain dont la règle d’or – « travail et probité » – est de nature à rassurer le plus frileux des éditeurs. Et, bientôt, les guides Joanne de la maison Hachette deviennent « la première collection de guides de voyage éditées en France ».
Murray et Baedeker, les grands concurrents
Deux grandes collections de guides existent alors déjà en Europe. En 1836, la prestigieuse maison d’édition britannique Murray (fondée en 1768) avait lancé ses Handbooks for travellers – rapidement surnommés les « red books » en raison de leur couleur – tandis que l’Allemand Karl Baedeker cartonnait avec ses guides au format poche et ses couvertures de percaline, rouges elles aussi.
Hachette choisit de conserver la couverture de percaline bleue des guides Richard et les premiers tomes commencent à paraître. L’Allemagne du sud, en 1855, L’Allemagne du nord et Les environs de Paris, en 1856, La Suisse et L’Italie en 1857, L’Espagne… La collection comptait aussi des volumes thématiques. « En 1860, un guide est sorti sur les bains d’Europe, précise la directrice éditoriale, Cécile Petiau. Un autre, en 1864, concernait les villes d’hiver de la Méditerranée. Évidemment, ces propositions correspondaient aux voyages de l’époque. »
Loin d’être aussi développée qu’aujourd’hui, la concurrence est cependant déjà rude entre les maisons d’édition. « La rivalité entre Hachette et Chaix est un bon exemple », souligne Gallica, le site de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Entre les deux maisons, est engagée. Certain que la voie ferrée pouvait aussi emmener les éditeurs très loin, Napoléon Chaix avait tenu,
dès 1848, à s’« associer à ce grand mouvement d’une population qui sort de ses foyers pour connaître et pour voir » en éditant les indicateurs des chemins de fer (les livrets- Chaix) puis en créant sa Bibliothèque du voyageur.
Louis Hachette trouve aussi l’idée très bonne et va aller plus loin. Il a repéré en Angleterre des librairies installées dans les gares et ferait bien la même chose en France. En 1852, il passe un accord avec la Compagnie du Nord pour vendre ses livres sur le réseau et, l’année suivante, crée sa Bibliothèque des Chemins de fer. C’est le début des bibliothèques de
gare et du « Monopole-Hachette » qui va faire grincer bien des dents.
Les guides bleus entrent en scène
Alors que les gros éditeurs étrangers proposent des guides sur des destinations lointaines et exotiques, Hachette s’aventure peu en dehors de l’Europe et ne fait pas traduire sa collection. « Joanne ne peut guère compter sur la clientèle anglaise, encore moins sur les Allemands, explique Goulven Guilcher dans un article de Joanne Vajda, publié en 2009 et disponible sur le site OpenEdition Journals. Il fait jouer la fibre patriotique pour dissuader les Français d’acheter les traductions d’un éditeur dont le pays est l’ennemi héréditaire. Cela compte sans doute d’une certaine façon, mais les voyageurs ont surtout le sens pratique pour ce type d’achat. »
En 1916, tandis qu’on se trucide à qui mieux mieux dans les tranchées de Champagne, les Guides Joanne changent de nom et deviennent les Guides Bleus, dont les premiers volumes, sous ce nom, paraissent en 1919.
Le nom a changé mais l’exigence est restée la même. « Les Guides Bleus s’adressent à des voyageurs qui ont à la fois envie d’apprendre et besoin d’informations pratiques, reprend Cécile Petiau. Le niveau de précision, de détails et d’érudition des vieilles éditions est inouï. Ce sont d’excellents témoignages de l’évolution de la société : le mode de vie, l’architecture, les lieux détruits
depuis la publication… »
Les guides Joanne avaient pris le bon train au XIXe, les Guides Bleus ne passeront pas à côté de la révolution de l’automobile. Dans les années 1920, ils commencent à indiquer les meilleurs circuits routiers, les adresses des principaux garages, les services d’autocars… « Les grands guides, à la couverture bleu foncé, étaient de véritables bibles sur les pays, poursuit la directrice éditoriale. Ils se présentaient comme des « Répertoires de toutes les beautés pittoresques, artistiques, historiques et monumentales ». Avec l’importance prise par l’automobile, Hachette va sortir d’autres guides dits « circulaires », bleu ciel, destinés aux voyageurs en automobiles, qui proposaient des itinéraires formant des boucles. »
Le guide conserve son sang bleu
Très populaires et reconnus pour leur sérieux, les Guides Bleus vont parfois servir des causes qu’ils n’auraient jamais imaginé défendre. Ainsi, le 27 juin 1925, le comité des fêtes de Pont-Aven (Finistère), opposé à la proposition de décaler d’une semaine la date du Pardon des Ajoncs d’Or, s’appuie-t-il sur le fait que l’événement « est annoncé sur tous les guides (le grand Guide Bleu en particulier) ». (L’Ouest-Eclair).
Dans un amusant article également publié par l’ancêtre d’Ouest-France, le 25 octobre 1929, et intitulé « En route pour Constantinople et Angora, impressions d’un voyageur de l’OrientExpress », le rédacteur vante, sans chercher à le faire, le sérieux et la richesse du Guide Bleu. « Je roule, confortablement installé – il est vrai – dans mon compartiment individuel, écrit-il. Les paysages les plus variés défilent devant moi à une allure de film. En m’aidant de mon guide bleu, je pourrais faire croire que j’ai beaucoup observé et beaucoup vu, et puis il me serait facile de poser pour l’érudit en citant à propos de telle ville, de tel lieu, de telle région, quelques phrases de ce livre. Mais non : je ne me suis pas singularisé ; j’ai fait à peu près comme tous mes compagnons de voyage : j’ai dormi et j’ai mangé. »
La référence bleue
Ouest-France s’amuse encore, en 1955, en conseillant à « Monsieur, qui avez erré, durant toutes vos vacances à la recherche d’un costume typique », pour participer à « La Nuit des provinces françaises », de Bellême (Orne) du 19 février 1955, de « ne pas oublier votre Guide Bleu pour reconnaître en votre cavalière, la Béarnaise, la Provençale ou la Bretonne de vos rêves… »
Le 3 juin de la même année, à l’occasion de la projection, à Cannes, (Alpes-Maritimes) du film Trésors de la mer Rouge qui « relate les péripéties de l’expédition Jonas », dirigée par Jean-Albert Foëx, Ouest-France fait une flatteuse comparaison : « Oui, pour Foëx et ses compagnons, la Bible était bien devenue le Guide Bleu de la mer Rouge. »
« Les Guides Bleus n’ont cessé de se transformer et de se moderniser », explique la maison Hachette sur son site. Cet automne, ils commenceront une nouvelle mue.
De nouveaux Guides bleus
« On a décidé de redonner à cette collection son ADN d’origine, à savoir un guide très culturel, avec une fabrication haut de gamme et de garder ces codes très forts que sont le bleu marine et une couverture avec un effet matière, un titre et une illustration très élégante au fer à dorer, et une maquette complètement revue, qui joue sur toute la couleur bleue, tout en restant très lisible, pour en faire aussi un très bel ouvrage, détaille Cécile Petiau. On a voulu redonner un plaisir de lecture à ces guides destinés aux amateurs de culture et de lecture, et qui avaient un peu tendance à se fondre dans la masse alors qu’ils sont un peu hors normes. On a voulu donner un plus bel écrin à ce contenu. »
Toute la collection des Guides Bleus – une trentaine d’ouvrages – aura droit à ce lifting. Mais cela prendra du temps. « Ce sont de gros guides, conclut la directrice éditoriale. Ils font en général entre 600 et 700 pages et nécessitent un gros travail, très exigeant, de vérification et d’écriture. En fin d’année 2024, nous en sortirons trois – Rome, l’Égypte et le Rajasthan – puis trois ou quatre par an dans les années qui vont suivre, le temps de renouveler toute la collection. »