Detours en France

LES MONTS DE BLOND

UNE «MONTAGNE» DE LÉGENDES

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Massif isolé à l’ouest de Limoges, les monts de Blond constituen­t le premier relief rencontré lorsque l’on vient de la côte atlantique. Cette barre granitique orientée d’est en ouest s’allonge sur une dizaine de kilomètres, faisant de ce territoire une montagne en miniature. Une montagne, vraiment ? L’endroit ne culmine qu’à 515 mètres ! « Détrompez-vous, répond Bernard Chevallier, président de l’office de tourisme du Haut-limousin, l’altitude a joué plus d’un tour aux aviateurs. Plusieurs avions s’y sont écrasés, surpris par le relief un jour de brume, avant que ne soit installé au milieu des années 1990 un radar d’aviation civile… C’était un peu le triangle des Bermudes avant ! » Les habitants de Bellac, belle cité médiévale qui fait office de porte d’entrée, ne s’y risquaient même pas à une époque pas si lointaine : « Pour les habitants de Bellac, les monts étaient jadis le “pays des sorciers”, sourit Bernard Chevallier. D’ailleurs, certains d’entre eux avaient eu du mal à admettre, il y a quelques décennies déjà, la mise en place des sentiers de randonnées dans ce secteur…»

LE CIRCUIT DES MÉGALITHES

Aujourd’hui, la région est appréciée le weekend d’un grand nombre d’habitants de Limoges, mais ne se livre pas facilement : « Très longtemps, ce territoire a été sans véritable voie de communicat­ion, très enclavé. On y a longtemps vécu dans une certaine autarcie et des traditions y ont perduré plus longtemps qu’ailleurs… », explique Nicole Raynaud, conservatr­ice de la lande de la Butte de Frochet. Roland Bosquet, écrivain installé dans le village de Cieux, confirme : « Les nombreuses vallées et les multiples étangs cachent encore leurs sombres légendes, mais c’est toujours avec générosité qu’elles se dévoilent à qui sait prendre le temps de les regarder ». Au départ

du village de Ceinturat, le circuit des mégalithes, de onze kilomètres, bien balisé, permet au randonneur de découvrir les insolites pierres qui font la renommée des monts dans tout le Limousin. Au détour d’un sentier, en lisière d’un champ, d’une tourbière, surgissent ces roches aux formes étranges, façonnées par l’érosion au fil des millénaire­s. « Ces ruisseaux, ces rochers associés à d’ancestrale­s légendes, ces étangs où j’aime me baigner les beaux jours… Moi qui connais bien la Bretagne intérieure, je peux vous dire qu’il y a quelque chose qui rappelle l’ambiance mystérieus­e de Brocéliand­e ou des monts d’arrée », confirme l’éditeur Olivier Rougerie, qui vit à Mortemart (lire ci-dessous).

DES FORMES INEXPLIQUÉ­ES

Sur une colline boisée entre Blond et Javerdat, il faut voir les rochers de Puychaud. Quatre gros blocs granitique­s semblent avoir été installés là par un géant ! Plus loin, la pierre branlante de Boscartus, 120 tonnes posées en équilibre comme par magie sur une autre pierre, se découvre au coeur d’une clairière. « Les anciens affirment que cette pierre servait de tribunal : si un accusé pouvait la faire bouger, il était reconnu innocent », explique Nicole Raynaud. Nous avons eu beau essayer de la pousser dans tous les sens, nous n’avons pas réussi à la faire bouger, ne seraitce que d’un millimètre ! Nous voilà devant la « pierre à sacrifices », près du bourg de Ceinturat. Ce bloc de granit porte à son sommet des creux dans lesquels certains voyaient la forme de corps humains sacrifiés… Plus, loin, près de l’étang de Fromental, nous tombons sur une insolite pierre en forme de gigantesqu­e cèpe… « La nature a façonné des choses extraordin­aires ! », s’enthousias­me Sylvie, une promeneuse amoureuse de ce territoire envoûtant. « Les monts de Blond

La pierre branlante de Boscartus, 120 tonnes posées en équilibre comme par magie sur une autre pierre, se découvre au coeur d’une clairière.

excitent facilement l’imaginaire, analyse Nicole Raynaud. Nombreuses sont les légendes, comme celle de la mandragore, associées aux rochers. Les champs sont remplis de ces échines rocheuses, donc on ne peut rien y cultiver. De ce fait, on a longtemps pratiqué le pastoralis­me ici, et les ber-

gers, un peu passifs, un peu rêveurs devant les rochers, ont sans doute imaginé beaucoup de choses… On ne savait pas expliquer ces formes curieuses, alors on a inventé des histoires ! Et puis, les monts de Blond ont été beaucoup boisés, mais c’était avant tout un grand paysage de landes. Ces grandes étendues de bruyères ajoutaient quelque chose de hanté, à la nuit tombée… »

SOUVENIRS PAÏENS

Il y a aussi ces mégalithes érigés par l’homme à la préhistoir­e, tels le dolmen de Rouffignac ou les Rochers des fées, à Cieux, qui servirent d’abri au néolithiqu­e, puis de nécropole… Au coeur de la forêt, le menhir de Ceinturat, classé monument historique, impression­ne. Il est le plus grand du Limousin : 5,10 mètres de haut. Certains murmurent que si l’on veut se marier dans l’année, il suffit de lancer une pierre sur son sommet : si elle s’y maintient, le voeu sera exaucé… La « pierre à cupules », à l’entrée du village d’arnac, est un menhir qui porte d’étranges signes de croix gravées. « Ce mégalithe a été objet de vénération jusqu’au xe siècle au moins. Une religion païenne – survivance de l’époque

des druides – qui était vue d’un mauvais oeil par l’église. Celle-ci a fait détruire nombre de dolmens ou, dans d’autres cas, les a christiani­sés, en gravant ce genre de croix… », explique Nicole Raynaud. En suivant le sentier des mégalithes, on tombe sur la chapelle du Bois-du-rat, l’une des dernières églises-granges de la région, en bordure d’un champ.

TOILES D’ARAIGNÉES ET CRUCIFIX

Ce jour-là, la porte est entrouvert­e. Toiles d’araignées, crucifix vieillis, murs noircis par la fumée des cierges… Les paysans y venaient pour obtenir la guérison de certains animaux. « S’il y a encore des vénération­s, elles sont totalement privées. Il n’y a aucune procession officielle de l’église aujourd’hui », poursuit notre guide. Plus loin, plus haut, la chapelle perchée du Vaulry (xixe siècle) offre l’un des plus beaux points de vue sur les monts, mais, on n’a guère envie de s’y attarder à la nuit tombée : la presse locale rappelait encore récemment l’affaire du « loup-garou de Vaulry », évoquée jusque dans les médias japo-

nais. Des hommes, au début, des années 1990, s’y mettaient à quatre pattes, hurlant telles des bêtes sauvages. Un habitant eut beau révéler plus tard avoir voulu faire une blague, cela raviva de mauvais souvenirs : « Au village, certains en sourient, relate le journalist­e de La Montagne. D’autres se souviennen­t des mille légendes qui courent sur les monts de Blond. Ce chien mystérieux qu’on apercevrai­t à l’orée du bois. Cette femme décapitée qui hanterait les berges de la Glane. La statue de la Vierge, perchée en haut de l’édifice, qui tournerait la tête pour suivre le mouvement des visiteurs… »

VIVE LE PATRIMOINE RURAL !

Elle vous suivra peut-être jusqu’aux beaux villages de granit qui font aussi le cachet des monts… Celui de Blond, justement, vaut le détour pour son église fortifiée et son bistrot Chez Boulette (voir Carnet d’adresses). Ou, superbemen­t préservé, Mortemart, classé parmi les Plus beaux villages de France, qui s’orchestre, lui, autour de sa place centrale et de sa vieille halle en bois. On admire son église surmontée d’un campanile à triple bulbe – cette ancienne chapelle d’un couvent des Augustins est dotée d’un riche mobilier (belles stalles du xve siècle, entre autres) – et le château médiéval des ducs des Mortemart, fortement remanié. Quant au bourg de Montrol-sénard, ses habitants ont redonné vie à son patrimoine, en reconstitu­ant l’univers rural du début du xxe siècle, avec son ancienne école communale, son fournil, sa forge, son sabotier, sa maison « chabatz d’entrar » (ce qui, en langue d’oc, signifie « finissez d’entrer ») et son étable-cellier… Un univers bien plus rassurant. Mais savez-vous que le cimetière possède encore une lanterne des morts ? Jadis, une lampe y était allumée pour servir de guide aux défunts… ‡

 ??  ?? L’église romane et sa nef, xiiie siècle, de Montrol-sénard. Ce village est un écomusée où le visiteur découvre la vie rurale au début du xxe siècle.
L’église romane et sa nef, xiiie siècle, de Montrol-sénard. Ce village est un écomusée où le visiteur découvre la vie rurale au début du xxe siècle.
 ??  ?? Le château des ducs de Mortemart date de la fin du xe siècle. Il est le berceau de la famille de madame de Montespan.
Le château des ducs de Mortemart date de la fin du xe siècle. Il est le berceau de la famille de madame de Montespan.
 ??  ?? La chapelle Notre-dame- devaulry : nul loup-garou, nul fantôme n’y rôdent les soirs de pleine lune.
La chapelle Notre-dame- devaulry : nul loup-garou, nul fantôme n’y rôdent les soirs de pleine lune.
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 ??  ?? La chapelle du Bois-du-rat, sur la commune de Cieux, est un lieu où l’on venait prier pour obtenir une guérison.
La chapelle du Bois-du-rat, sur la commune de Cieux, est un lieu où l’on venait prier pour obtenir une guérison.
 ??  ?? Le menhir de Ceinturat : 5,10 mètres de hauteur et 2 mètres de plus dans le sol.
Le menhir de Ceinturat : 5,10 mètres de hauteur et 2 mètres de plus dans le sol.
 ??  ?? Le dolmen de la Borderie, à Berneuil près du village de Blond.
Le dolmen de la Borderie, à Berneuil près du village de Blond.
 ??  ?? Entre les villages de Villerajou­ze et Blond, le chaos rocheux de Puychaud. Ce bouleverse­ment chaotique marque la ligne de partage des langues d’oc et d’oïl.
Entre les villages de Villerajou­ze et Blond, le chaos rocheux de Puychaud. Ce bouleverse­ment chaotique marque la ligne de partage des langues d’oc et d’oïl.
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 ??  ?? La pierre branlante de Boscartus. 120 tonnes de granit que les condamnés, au Moyen Âge, devaient faire bouger pour prouver leur innocence et être graciés. Combien furent-ils ? Mystère.
La pierre branlante de Boscartus. 120 tonnes de granit que les condamnés, au Moyen Âge, devaient faire bouger pour prouver leur innocence et être graciés. Combien furent-ils ? Mystère.
 ??  ?? Ci-dessus, Bellac : le pont médiéval, l’église Notre-dame. À gauche, le mémorial Jean Giraudoux (1882-1944), dans les jardins de l’hôtel de ville de Bellac.
Ci-dessus, Bellac : le pont médiéval, l’église Notre-dame. À gauche, le mémorial Jean Giraudoux (1882-1944), dans les jardins de l’hôtel de ville de Bellac.
 ??  ?? Cieux, dont les habitants sont appelés les Ciellois, est un village truffé de souterrain­s creusés lors de la Première Guerre mondiale. Son étang artificiel de 43 hectares est un paradis pour les pêcheurs.
Cieux, dont les habitants sont appelés les Ciellois, est un village truffé de souterrain­s creusés lors de la Première Guerre mondiale. Son étang artificiel de 43 hectares est un paradis pour les pêcheurs.
 ??  ?? L’étang de Fromental, sur la commune de Cieux, est classé en zone naturelle d’intérêt écologique.
L’étang de Fromental, sur la commune de Cieux, est classé en zone naturelle d’intérêt écologique.

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