Lune de miel écologique entre le patronat et l’Etat
Après un clash fin 2023, le président du Medef, Patrick Martin, et le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, affichent leur réconciliation et une méthode. Sans effacer toutes les divergences. Double rencontre.
Poignée de main, grands sourires, accolades et tutoiement. La mise en scène est bien rodée. Ce mercredi 6 mars, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, et le président du Medef, Patrick Martin, ont « officialisé leur bonne entente » par la signature d’une charte, sous les dorures de l’hôtel de Roquelaure. Il y a quelques mois à peine, une telle complicité n’était pourtant pas gagnée.
En cause, le pavé dans la mare jeté par une campagne de communication de l’Ademe, l’agence sous tutelle du ministère de la Transition écologique. Quatre spots télévisés diffusés du 14 novembre au 4 décembre, qui mettaient en scène des « dévendeurs » poussant des clients de magasins textiles ou bricolage à se tourner vers des modes de consommation alternatifs comme la location. A la veille des soldes du Black Friday et en plein marasme pour le commerce, la campagne avait provoqué l’ire des représentants patronaux : intervention scandalisée dans les médias, menaces d’action en justice… La Confédération des PME (CPME) et le Medef avaient même exigé son retrait. En face, le ministre Christophe Béchu a tenu bon, tout en admettant des « maladresses ». L’affaire était retombée après une discussion franche le 29 novembre entre le ministre et les fédérations patronales du commerce et de l’industrie, sous l’égide de Patrick Martin.
Trois mois après, l’ambiance a radicalement changé entre les deux hommes. Autour d’un petit déjeuner réunissant une dizaine de cadres du syndicat patronal, Sylvain Waserman,
patron de l’Ademe, et Guillaume Kasbarian, ministre du Logement, Christophe Béchu et Patrick Martin s’appellent ostensiblement par leurs prénoms et affichent leur proximité. « Cette campagne de l’Ademe a été un irritant, concède Christophe Béchu. Nous avons pris conscience qu’il fallait nous voir plus souvent pour travailler ensemble. » Patrick Martin renchérit :
« Compte tenu de l’urgence climatique, on se doit d’être dans un rapport de confiance entre le privé et le public. L’anecdote de l’Ademe a été l’occasion d’une prise de conscience qu’il ne fallait plus s’opposer. » Ils parlent maintenant d’une seule voix et entonnent un même refrain :
« L’écologie ne peut pas aller sans l’économie et la croissance. »
Sur le fond, la charte signée – un texte de deux pages – pose les principes du travail commun entre l’or
« Il ne faut plus s’opposer »
ganisation patronale et le ministère. Chacun s’engage à « faire circuler l’information » via des réunions qui auront lieu au moins deux fois par an, avec des groupes de travail thématiques. D’un côté, le Medef va encourager tous ses adhérents à prendre leur part de la transition écologique. De l’autre, le ministre promet d’écouter les patrons sur les sujets de simplification, de communication, voire de les consulter en cas de nouveaux arbitrages budgétaires à réaliser.
« Un Etat plus humble »
« La transition écologique nécessite forcément un soutien financier public. Il faut que l’Etat fasse preuve d’humilité pour écouter les entreprises, souligne Christophe Béchu. Dans un contexte budgétaire contraint, toutes les dépenses n’ont pas le même impact. Quand l’Ademe distribue 1 milliard d’euros d’aide à la décarbonation, les entreprises en mettent 4 ou 5 supplémentaires. » Les entreprises portent en effet la moitié de l’effort d’investissement pour la transition, soit environ 40 milliards d’euros par an. « Il n’est pas question d’être sous perfusion des subventions, complète Patrick Martin. Les meilleurs moyens sont ceux des entreprises elles-mêmes. Elles doivent être compétitives pour pouvoir investir. »
Le premier domaine de coopération identifié par la charte est celui de l’emploi. Le gouvernement a pour objectif de voir 50 000 jeunes passer par un service civique écologique d’ici à 2027. La commission insertion du Medef s’est engagée devant le ministre à mobiliser ses adhérents pour qu’ils leur proposent stages, alternances, formations… « Nous commençons par le capital humain. C’est un enjeu essentiel pour les entreprises et la transition écologique », s’enthousiasme Christophe Béchu. D’autres chantiers communs suivront sur le climat, la biodiversité, l’adaptation. Le Medef va en particulier inciter les entreprises à décliner la planification écologique au niveau régional.
Et quand le ministre évoque son rêve d’instaurer une nouvelle cotisation des employeurs baptisée 1 % climat, sur le modèle du 1 % logement, Patrick Martin répond même que « l’idée mérite d’être explorée ».
Dans son élan, le ministre a tout fait pour réconcilier les patrons avec l’Ademe. Le premier acte de paix sera une campagne de communication co-construite pour viser cette fois l’ultra-fast fashion, ces collections de vêtements de faible qualité renouvelées très rapidement.
Réserves sur la loi Climat
Mais la trêve n’est pas acquise. Les crêpes et les madeleines ne suffiront pas à effacer toutes les différences. Après le départ de Christophe Béchu pour le conseil des ministres, Patrick Martin tient à alerter sur la nécessité pour le gouvernement de réaliser des études d’impact avant le vote des lois pour éviter des décisions aberrantes. Et le président du Medef de citer le mauvais exemple de la loi Climat… Il fustige aussi la tendance des administrations à multiplier les référentiels, alors que l’Ademe travaille justement avec la Banque de France à une nouvelle notation des « stratégies climat » des entreprises. « Il faut simplifier et faire confiance aux acteurs », enjoint Patrick Martin, qui reconnaît, malgré la signature de la charte, toujours des divergences « au cas par cas ».