AUTO HEROES

La dame à la Donnervoge­l

La Donnervoge­l, c’est une T-Bird des années 60 à l’allemande, un modèle charmant pour relancer la production endormie d’Auto Union. Ce coupé, recherché et trouvé par une passionnée de voitures et de l’époque, n’en finit pas de nous ramener dans les sixtie

- texte et photos Marc de Tienda

En cet après-midi ensoleillé en Dordogne, une élégante, tout en ajustant ses lunettes, sort d’une demeure seigneuria­le et se dirige vers un coupé sport plutôt racé. Le son des talons sur les dalles de la cour nous rappellera­it les bruitages des films de Tati. La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil (roman de Sébastien Japrisot) serait plus inspirant pour Coralie dans l’achat de son coupé Auto Union 1000 SP de 1960. Nul besoin de fusil pour motiver un tel achat, Coralie est fan de cette époque et des coupés sport de style. Surtout inutile d’être pesant en lui demandant si son homme lui prête souvent sa voiture de collection. « C’est MA voiture, vous répondra-t-elle. Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas aussi passionnée­s par les belles mécaniques ? » Une scène régulièrem­ent vécue lors de rencontres ou d’événements d’autos classiques. D’autant que Coralie baigne dans la passion auto depuis toujours. Les camions, elle connaît. Son père Jean-Marc était chauffeur routier, métier qui ne lui déplaisait pas non plus. Son oncle était dépanneur et sa Mercedes fut la voiture-école idéale pour apprendre à conduire. Sans compter son compagnon Greg tout aussi mordu qu’elle par cette époque et ces voitures simples et spéciales de par leur motorisati­on. La réussite commercial­e du coupé sport US Thunderbir­d a sans nul doute inspiré le groupe Auto Union, réunissant DKW, Horch, Audi et Wanderer. Une façon de rebooster les ventes en produisant un modèle sport et chic. Les ressemblan­ces de lignes entre ce seigneur des anneaux et la T-Bird sont frappantes si l’on scanne le roadster de la calandre aux ailes chaloupées en passant par le hard-top de la cabine. Après la présentati­on au salon de Francfort en 1957, la voiture démarre sur les chaînes de montage d’Ingolstadt pour en sortir en 1965 après 5 000 exemplaire­s.

La carrosseri­e très américaine est produite chez le carrossier Baur à Stuttgart, matérialis­ant un “US spirit” tout en restant dans une élégante discrétion. Peu courante, plutôt raffinée extérieure­ment comme à bord pour un modèle situé en milieu de gamme, la 1000 SP (SP pour Spezial) ne pouvait échapper au couple passionné. Le but de la Spezial n’est pas de copier le style d’outre-Atlantique, mais surtout d’en faire une traction avant (innovant en cette période) avec un “moulin” très loin d’un 6 cylindres Ford ou des mythiques V8 à 300 chevaux et plus. Dans une Europe toujours un peu asphyxiée par l’après‑guerre, les ingénieurs ont à charge de se débrouille­r et de trouver des solutions simples, pratiques et peu onéreuses. Pour le coup, exit les “gros blocs” Ford, un 3 cylindres deux-temps DKW de 981 cm3 a de quoi en découdre et en remontrer. Selon DKW, son moteur 3 cylindres est aussi

efficace qu’un 6 cylindres de l’époque. Avec ce minuscule “moulin” compressé à 8,2, 55 chevaux vociférant tractent l’ensemble de plus de 4 mètres et de 950 kg à 140 km/h. Et cela assez aisément de l’avis de Coralie et de son homme, avec l’impression de lancer une turbine sans fin. Une fois confortabl­ement installée, voire allongée, la personne au volant est vite charmée par le caractère sportif et joueur de l’auto. Pour le passager, autant se tenir un peu, la jolie sellerie vintage n’en reste pas moins glissante. Les accélérati­ons sont très franches et semblent sans fin. Le compteur est déjà gradué jusqu’à 160, le compte-tours serait effrayant à consulter vu les montées en régime. Les quatre vitesses au volant sont là pour rappeler un côté à peine bourgeois ou pour freiner l’enthousias­me du pilote. Sur ces routes entourant Neuvic, la “Donnervoge­l” nerveuse et réactive se joue des routes tortueuses dans un son aussi strident que le cri d’un rapace. Pour les gens soucieux des nuisances sonores, l’empreinte décibel n’est pas si élevée et même à l’intérieur du coupé le moteur est plutôt discret par rapport à son tempéramen­t. De même, point de nuage bleu enveloppan­t toute la campagne après un run du couple sixties, l’Auto Union reste fédératric­e en la matière, suscitant l’interrogat­ion chez les passants bien en peine d’identifier un deux-temps. Pour le suivi mécanique, Greg, qui a grandi dans un univers Saab deux-temps en Suisse, parle de la motorisati­on avec un sourire provocateu­r. « C’est si simple à entretenir, pas d’électroniq­ue, pas une panne, de l’essence et 3 % d’huile et youpi. » Effectivem­ent, lui qui se charge de l’entretien des voitures de la famille a de quoi se féliciter de toute cette simplicité. À chaud comme à froid, le coupé démarre au quart de tour sans réveiller le village. Rien ne semble fragile dans l’ensemble. Régler le rétroviseu­r juché sur la console centrale n’a rien d’angoissant vu les dimensions de sa patte d’ancrage. Petite astuce : par temps très chaud, tirer le starter dix secondes est signe de réussite immédiate. Bien sûr, rouler avec l’esprit “circuit” n’est pas au programme pour tous. En Dordogne, les routes sont plaisantes avec des virages, des côtes mais aussi des descentes. Une habitude d’anticipati­on sera des plus utiles, le DKW n’étant pas réputé pour son frein moteur. Les quatre freins à tambour, même s’ils sont efficaces, sont à assister par prévoyance et intelligen­ce situationn­elle. La limite se situerait plutôt au niveau de l’autonomie, le carbu double corps restant généreux pour assouvir le tempéramen­t du 3 cylindres engloutiss­ant 10 l/100 km. En accompagna­nt le couple sur la route, pas de doute, leur passion auto n’est pas déguisée, l’aiguille est plus dans la boîte à gants que près du ralenti. Sûrs de la qualité de leurs autos, ils affichent un vrai plaisir de conduire. Ils sont collection­neurs certes mais surtout passionnés de conduite de véhicules reliés à leur époque préférée. Coralie a sa voiture, en profite en accord avec son style de vie, tout en partageant avec Greg cette passion du deux-temps ludique et malin des sixties.

Rouler avec l’aiguille dans la boîte à gants, en deux-temps c’est possible. Avec cette Auto Union, ce n’est pas une question d’âge.

 ?? ?? Nous ne sommes pas dans le Maine mais en Dordogne, la T-bird allemande se sent tout à fait légitime et assume sans réserve ses formes américaine­s.
Nous ne sommes pas dans le Maine mais en Dordogne, la T-bird allemande se sent tout à fait légitime et assume sans réserve ses formes américaine­s.
 ?? ?? Pas de souci pour notre passionnée, même si l’Auto Union est très vive et réactive, les freins sont assez efficaces pour s’amuser sur les routes de Dordogne.
Pas de souci pour notre passionnée, même si l’Auto Union est très vive et réactive, les freins sont assez efficaces pour s’amuser sur les routes de Dordogne.
 ?? ?? “Frau” Coralie ne se lasse pas de son coupé. Un plaisir de rouler qui implique un rituel dans le dress code.
“Frau” Coralie ne se lasse pas de son coupé. Un plaisir de rouler qui implique un rituel dans le dress code.
 ?? ?? Impossible de se tromper d’époque avec une telle calandre et des clignos en obus.
Impossible de se tromper d’époque avec une telle calandre et des clignos en obus.
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