Dossier Drawing Now
L’univers de Tiziana La Melia s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire: elle pratique autant la poésie que le dessin et la peinture, autant la vidéo que la performance. Elle combine les rêves, les souvenirs, le vécu social quotidien dans des récits fragmentés qui résonnent de l’écho d’un monde plus vaste. Elle expose sur le stand de la galerie Anne Barrault (Paris).
C’est sans doute un peu plus qu’une coïncidence, mais un peu moins qu’une explication unique : reste cependant qu’à Vancouver, dans le sillage de la galerie Artspeak, lieu d’exposition indépendant dont la programmation explore les liens entre art et littérature, et du travail de Geoffrey Farmer ou Lisa Robertson– toujours membres honoraires de l’association –-, la scène artistique locale entretient une relation particulièrement ténue avec la poésie. Pour Tiziana La Melia, installée depuis qu’elle est enfant sur la côte ouest du Canada, et qui a publié en début d’année un recueil de poèmes intitulé The Eyelash and the Monochrome and Other Poems (Ed. Talonbooks), l’activité d’écriture est indissociable d’une pratique pluridisciplinaire qui allie, entre autres, l’installation, la performance, la vidéo et la peinture. Dans cette production vaste, la jeune artiste se réfère à différentes sources, opérant un va-et-vient continu entre un vocabulaire érudit qui emprunte autant à l’histoire de l’art, de la danse ou de la littérature, ainsi qu’aux théories new age, et une forme plus libre d’autofiction, où se combinent les souvenirs, les rêves et les interactions sociales quotidiennes. Ces récits fragmentés, qui s’incarnent en une multitude de personnages humains ou animaux, dont les traits s’étoffent parfois d’une oeuvre à l’autre, suivent le cours sinueux d’une pensée bousculée par les potentialités d’une recherche poétique. HORS-CHAMP NARRATIF Au printemps dernier, lors de sa première exposition personnelle à la galerie Anne Barrault, intitulée Broom Emotion, La Melia avait trans- formé l’espace de la galerie en une étrange scène pastorale. Des ballots de foin et une grande tenture recouverte d’aplats vaporeux et multicolores dressaient le cadre privilégié d’un décor de fable, peuplée de fleurs hilares et de coquilles d’oeufs démesurées d’où parvenaient des échos de noces et de scènes de sorcellerie, sans néanmoins que s’en dégage une trame précise. Ses peintures et ses dessins charrient, à l’image des poèmes qu’elle rédige, un hors-champ narratif et parcellaire ; sa ligne ponctuée de volutes et d’arabesques suit un élan vif, parfois agité, tandis que ses compositions resserrées bouleversent les rapports d’échelle entre les objets. Comme des barbarismes dont finiraient par surgir des mots clairs et un langage, la frontière qui s’érige entre abstraction et figuration est poreuse, laissant cohabiter à la surface d’une même oeuvre les deux procédés, comme s’ils découlaient naturellement l’un de l’autre. À Drawing Now, La Melia présentera un ensemble de nouveaux dessins, essentielle-
ment réalisés aux pastels gras ou aux crayons de couleur sur papier. On y trouvera quelques portraits féminins, curieusement sertis d’insectes surdimensionnés, ou le regard jalousement tourné vers des horizons luxuriants. On y verra même, à plusieurs reprises, un pick-up rouge, « un Ford Ranger 92 que j’ai conduit lors d’un voyage à Los Angeles en 2014 », explique-t-elle. « Il me manquait, alors je l’ai dessiné, transposé à l’endroit où je vis actuellement. » Les oiseaux, les forêts denses et les êtres qui habitent les images de Tiziana La Melia nous disent aussi qu’un des possibles de la poésie, c’est de donner corps aux désirs.
Tiziana La Melia’s multidisciplinary practice ranges across painting, video and performance; her themes include dreams, memories and everyday social experiences, all conveyed in fragmentary
narratives resonant with the echoes of a wider world. Her work is exhibited
at Anne Barrault gallery, Paris. It’s probably a little more than a coincidence, and a little less than a one-cause phenomenon, but the fact is that in Vancouver, in the wake of the Artspeak gallery, an independent space with a program that explores the links between art and literature, and the work of Geoffrey Farmer and Lisa Robertson—still honorary members of the association—the local art scene has a particularly close relation to poetry. For Tiziana La Melia, who has lived on Canada’s West Coast ever since she was a kid, and who earlier this year published a volume of poems titled The Eyelash and the Monochrome and Other Poems ( Talonbooks), the activity of writing is inseparable from a multidisciplinary practice that combines (not exhaustively) installation, performance, video and painting. In her extensive output this young artist also refe- rences multiple sources, ranging from the histories of art, dance and literature, to New Age theories and a freer form of autofiction melding memories, dreams and even social interactions. These fragmented narratives, embodied by a multitude of characters, both human and animal, sometimes gaining in depth from one work to another, follow the sinuous path of a thought process pushed by the potential of poetic research. NARRATIVE OUT-OF-FRAME Last spring, for her first solo show at Galerie Anne Barrault, Broom Emotion, La Melia transformed the gallery space into a strange pastoral scene. Bales of hay and a big hanging covered with vaporous, multicolored zones of color created the privileged framework of a fable-like setting, peopled with jocular flowers and giant eggshells from which came echoes of weddings and witchery scenes, but with no sense of a clear narrative. Like her poems, her paintings and drawings invoke a lacunar, narrative reality outside the frame. Her line, punctuated by scrolls and arabesques, follows a lively, sometimes agitated rhythm, while her tightknit compositions play games with the relations of scale between objects. Like barbarisms from which clear words and a language eventually emerge, the frontier that rises up between abstraction and figuration is porous, leaving the two processes to cohabit on the surface of a single work, as if they flowed naturally from each other. At Drawing Now, La Melia will present a set of new drawings, most of them in pastel stick or color pencil on paper. Among them are several female portraits, curiously set with oversize insects, the gaze jealously fixed on luxuriant horizons. There is even a red pickup, which appears several times, “a Ford Ranger 92 that I drove when I was traveling in Los Angeles in 2014,” she explains. “I missed it, so drew it, transposed into the place where I’m now living.” The birds, the dense forests and the beings that inhabit La Melia’s images also tell us that one of the capacities of poetry is to give form to desires.
Translation, C. Penwarden Tiziana La Melia Née en 1982 à Palerme Vit et travaille à Vancouver Lives in vancouver Expositions personnelles récentes : 2017 The pigeon looks for death in the space between the needle and the haystack, LECLERE Centre d’art, Marseille Broom Emotion, Galerie Anne Barrault, Paris 2018 Soot, Unit 17, Vancouver Expositions de groupe récentes (sélection) 2017 Domestic, like a Pre Raphaelite Brotherhood, Truth & Consequences, Genève ; Michele di Menna, Vienne ; Martos Gallery, New York