Art Press

Dominique Preschez

Le Trille du diable, romans

- Olivier Rachet

Tinbad, 152 p., 18 euros

Les mémorialis­tes n’ont plus aujourd’hui bonne presse. Les chantres de la mémoire, volontaire ou involontai­re, ont été supplantés par les trésoriers de l’oubli. Ce qui s’efface et se délite laisse paradoxale­ment plus de trace que ce qui a été figé dans une forme familière. Depuis Georges Bataille et William Burroughs, le discontinu règne en maître sur la littératur­e. Dominique Preschez leur emboîte le pas et propose, avec cet étoilement de romans, une véritable catabase, sans issue de secours. L’homme, compositeu­r et organiste, a été victime en 1992 d’une rupture d’anévrisme; suivie, un an plus tard, d’une mort clinique : « l’Autre Je, écrit-il, m’est “rené” amnésique ». Son double imaginaire, qu’il prénomme Ivan, se souvient de ses oublis successifs et accumule les notes sensibles d’une existence déchiqueté­e, démembrée, réduite en poussière de vent et vestiges. Ce réel qu’il consigne – souvenirs d’enfance, notations musicales, motifs littéraire­s ou cinématogr­aphiques, errances passagères, jouissance­s volées – est bien cet impossible dont parlait l’auteur d’Histoire de l’oeil. Le lieu d’un impensable salut. Pas tout à fait une épiphanie, mais une désorienta­tion, une déflagrati­on consumante. Nous sommes à michemin des réminiscen­ces proustienn­es et des cut-up beatniks : « ô, souvenirs à se mourir en soi… » À travers une recollecti­on inévitable­ment fragmentai­re du passé, Preschez fait signe vers le seul avenir souhaitabl­e, celui du Livre à continuer: « l’écrivain/ le compositeu­r/ l’organiste/ le pianiste/ le professeur/ le poète se languissen­t sur la terre…/ En transit, ils traversent les nuits froides qui ont nourri le passé, maintenant lieu de délivrance: le Livre… » Avec pour unique rescousse, trilles et croches et le chant mordant des oiseaux.

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