Dominique Preschez
Le Trille du diable, romans
Tinbad, 152 p., 18 euros
Les mémorialistes n’ont plus aujourd’hui bonne presse. Les chantres de la mémoire, volontaire ou involontaire, ont été supplantés par les trésoriers de l’oubli. Ce qui s’efface et se délite laisse paradoxalement plus de trace que ce qui a été figé dans une forme familière. Depuis Georges Bataille et William Burroughs, le discontinu règne en maître sur la littérature. Dominique Preschez leur emboîte le pas et propose, avec cet étoilement de romans, une véritable catabase, sans issue de secours. L’homme, compositeur et organiste, a été victime en 1992 d’une rupture d’anévrisme; suivie, un an plus tard, d’une mort clinique : « l’Autre Je, écrit-il, m’est “rené” amnésique ». Son double imaginaire, qu’il prénomme Ivan, se souvient de ses oublis successifs et accumule les notes sensibles d’une existence déchiquetée, démembrée, réduite en poussière de vent et vestiges. Ce réel qu’il consigne – souvenirs d’enfance, notations musicales, motifs littéraires ou cinématographiques, errances passagères, jouissances volées – est bien cet impossible dont parlait l’auteur d’Histoire de l’oeil. Le lieu d’un impensable salut. Pas tout à fait une épiphanie, mais une désorientation, une déflagration consumante. Nous sommes à michemin des réminiscences proustiennes et des cut-up beatniks : « ô, souvenirs à se mourir en soi… » À travers une recollection inévitablement fragmentaire du passé, Preschez fait signe vers le seul avenir souhaitable, celui du Livre à continuer: « l’écrivain/ le compositeur/ l’organiste/ le pianiste/ le professeur/ le poète se languissent sur la terre…/ En transit, ils traversent les nuits froides qui ont nourri le passé, maintenant lieu de délivrance: le Livre… » Avec pour unique rescousse, trilles et croches et le chant mordant des oiseaux.