Du labo à la bouche
La production de viande à partir de cellules souches a fait d’importants progrès ces dernières années et pourrait débarquer dans nos assiettes.
Prélevez quelques cellules souches d’un oeuf de cane. Placez-les dans un cultivateur, une machine qui va reproduire l’environnement idéal pour qu’elles se développent. Ajustez leur alimentation pour qu’elles se spécialisent en cellules de foie. Enfin, augmentez la dose de gras végétal dans leur alimentation. Et voilà du foie gras produit sans souffrance animale. C’est tout le pari de la start-up française Gourmey, cofondée en avril 2019 par Nicolas Morin-Forest et les biologistes Antoine Davydoff et Victor Sayous.
Du foie gras donc, mais aussi des nuggets de poulet, de la viande hachée, des saucisses, du poisson. Quel que soit le produit, le procédé est globalement le même. « L’agriculture cellulaire s’inspire de ce que fait la médecine quand elle cultive des cellules de peau d’un grand brûlé, explique Nathalie Rolland, cofondatrice de l’association Agriculture cellulaire France, lancée la semaine dernière. L’idée est que les cellules se développent non plus dans un corps animal, mais dans une machine.»
«Rupture de civilisation»
Nathalie Rolland et Nicolas MorinForest identifient plusieurs obstacles à lever avant que la viande cultivée prenne son essor. Le premier est de faire évoluer le cadre réglementaire pour que la vente de viande cultivée devienne autorisée. Le second, de parvenir à passer du laboratoire à une production à grande échelle. «Tout l’enjeu est de parvenir à réduire les coûts de production», expose Nicolas Morin-Forest. Surtout, il faudrait préparer dès maintenant les consommateurs à l’idée de manger cette viande cultivée. Ce travail est plus insidieux, selon le journaliste Gilles Luneau, auteur de Steak barbare (éd. L’Aube), paru jeudi. Son enquête montre les accointances entre les start-up de l’agriculture cellulaire, des fondations, des think tanks et des associations animalistes pour préparer le terrain. « Je voulais comprendre comment L214, association de défense du droit des animaux, pouvait avoir 70 salariés, raconte-t-il à 20 Minutes. J’ai découvert qu’elle avait reçu une subvention de 1,3 million d’euros d’Open Philanthropy Project [1,14 million, précise à 20 Minutes Brigitte Gothière, cofondatrice de L214], qui finance d’un côté les associations animalistes et les lobbys pour faire évoluer le cadre réglementaire, et, de l’autre côté, met de l’argent dans les start-up de l’agriculture cellulaire. »
Inquiétant ? « Il y a en tout cas en jeu une rupture de civilisation, ces modes de production de nourriture mettant fin à dix mille ans d’agriculture et de domestication », met en garde Gilles Luneau, conscient pour autant des impasses actuelles du système agroindustriel.