L’IA ne fait pas la pluie et le beau temps
La Silicon Valley n’a jamais caché son optimisme, ou plutôt son aveuglement, face aux problèmes futurs. A en croire ces néoprométhéens biberonnés à la science-fiction, les nouvelles technologies auront réponse à tout. L’intelligence artificielle (IA) pour nous aider à vaincre la mort, un déménagement sur Mars pour éviter la catastrophe climatique, des puces électroniques pour augmenter les capacités de notre cerveau.
Les technoprophètes qui règnent sur la Silicon Valley «n’hésitent pas à dire que le changement climatique a déjà été résolu, dans le sens où, au rythme où progresse la technologie, une solution est inévitable – entre autres, grâce à l’apparition d’une technologie bien particulière, l’intelligence artificielle », écrit David Wallace-Wells dans La Terre inhabitable (éd. Robert Laffont). Mais selon Raja Chatila, professeur en robotique et éthique des intelligences artificielles à la Sorbonne et directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir), « ceux qui disent que l’IA va résoudre tous les problèmes sont soit naïfs, soit ils ont un intérêt parce qu’ils travaillent dans le domaine.»
Et si les géants de la tech étaient dans le déni ? « Non seulement l’intelligence artificielle ne peut pas tout résoudre, mais elle peut devenir ellemême le problème», pense JeanGabriel Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS et spécialiste d’intelligence artificielle. Le problème, c’est la fuite en avant solutionniste de la Silicon Valley. « Prenons l’exemple d’Elon Musk, poursuit le chercheur. Il pense que l’IA est dangereuse et qu’elle va prendre le pouvoir. Sa solution, c’est de développer un dispositif qu’il veut mettre dans le cerveau pour augmenter l’intelligence humaine. C’est absurde, parce que l’IA n’a d’intelligence que celle que nous lui prêtons, elle n’a pas de conscience.» D’un autre côté, dans le domaine de l’écologie, l’intelligence artificielle semble sous-exploitée. Limiter nos émissions de CO2, mieux gérer nos ressources d’eau et de nourriture, fluidifier le trafic routier, réduire notre consommation énergétique… « L’IA peut être d’un grand secours pour faire des économies, moins dépenser d’énergie, pointe Jean-Gabriel Ganascia. Par des capteurs, elle peut aider à réguler le chauffage dans les immeubles, à surveiller les forêts et la circulation routière. »
«L’IA n’a d’intelligence que celle que nous lui prêtons, elle n’a pas de conscience. » Jean-Gabriel Ganascia,
On n’arrive déjà pas à prévoir s’il pleuvra dans dix jours, alors anticiper les effets du réchauffement climatique…
Hélas, elle ne peut pas prédire réellement les effets du réchauffement climatique. « Le problème du changement climatique, c’est qu’on n’a pas de données, explique Raja Chatila. Vu la complexité du climat, on a du mal à faire des prédictions simples. »
On n’arrive déjà pas à prévoir s’il pleuvra dans dix jours, alors anticiper les effets du réchauffement climatique… «Quand on dit : “Le niveau de la mer va augmenter”, on prévoit que le réchauffement climatique va faire fondre la glace, détaille Raja Chatila. Et peutêtre que cette fonte de la glace aura aussi une conséquence sur les courants océaniques, qui sont très difficiles à modéliser. Ils provoqueront peut-être de nouveaux changements du climat imprévisibles. » Sur ce terrain, le futur semble bien trop complexe.