L’horreur de la guerre à travers les yeux de trois habitants d’Alep
Depuis Alep aux mains des forces de Bachar al-Assad, des Syriens racontent leur quotidien
Huit heures de trêve. Deux mois après le début de la violente offensive lancée par le régime de Bachar al-Assad et son allié russe pour récupérer les quartiers est d’Alep, les 250000 habitants assiégés se sont réveillés, jeudi, sans le vacarme des raids aériens. A quoi ressemble leur quotidien? Trois Syriens ont pu se confier à 20 Minutes.
Ismail, 29 ans, engagé au sein de la Défense civile syrienne. « En mars 2013, j’ai décidé d’intégrer les White Helmets (“casques blancs” ou Défense civile syrienne) après le tout premier bombardement qui a touché mon quartier. J’ai vu mes voisins en larmes, hébétés. J’ai ressenti quelque chose d’indescriptible, je ne pouvais pas rester sans rien faire. Au début, il m’arrivait de rester figé face aux ruines, je ne savais pas quoi faire. Il me fallait un moment avant de pouvoir agir et aider les autres dans les décombres. Depuis plusieurs semaines, on intervient tous les jours, mais on se répartit en équipes pour faire en sorte d’avoir chacun des moments de repos. Mes parents sont désespérés de me savoir toujours ici. Mon père me répète souvent : “Tu as fait un choix, tu vas devoir en assumer les conséquences ”, mais je sens qu’ils n’ont plus beaucoup d’espoir. »
Wissam, 34 ans, professeur d’anglais à l’université d’Alep. « Depuis deux semaines, les bombes à charge pénétrante (bunker buster) russes visent particulièrement les infrastructures d’accès à l’eau et à l’électricité. Tout le système éducatif et les services publics sont désormais portés par l’aide humanitaire, même mon job de professeur d’anglais est bénévole. Mes parents sont réfugiés en Turquie, mais j’arrive à leur parler tous les jours. Evidemment, ils sont très inquiets et me demandent de les rejoindre. D’autant que ma femme est enceinte de dix semaines. A la maison, nous ne dormons plus dans la chambre mais dans le couloir, il n’y a aucune fenêtre, c’est plus sûr en cas de bombardement. Fuir Alep n’a jamais été une option, ni ma femme ni moi n’acceptions cette décision parce qu’on a envie de participer à la reconstruction de notre pays. »
Mohammad, 45 ans, chirurgien. « Si vous voulez vous faire une idée de la vie ici, c’est simple, imaginez l’enfer. Après l’intervention des “casques blancs”, nous recevons les blessés. Comme nous ne disposons que de six lits aux urgences, la majorité sont auscultés à même le sol. Parfois, j’ai l’impression de faire davantage le travail d’un boucher que celui d’un chirurgien. On est obligés de mettre de côté nos sentiments et nos émotions pour pouvoir aider nos patients. Si quelqu’un dans l’équipe s’écroule et pleure, ça peut faire vaciller l’intégralité du staff. Il m’est arrivé de réaliser quinze opérations chirurgicales en une journée. En moyenne, on traite vingt à soixante-dix personnes par jour. Les convois humanitaires sont bloqués, nous ne recevons ni médicaments, ni essence, ni nourriture, ni fournitures médicales. Même si vous avez de l’argent, trouver les produits de première nécessité devient compliqué. Le prix du baril de pétrole dépasse aujourd’hui 1000 €. »