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Le CISSS de la Côte-Nord voulait transférer des patients sous la menace de poursuites

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Guillaume Renaud, Catherine Paquette Dans une lettre dont RadioCanad­a a obtenu copie, le CISSS de la Côte-Nord bran‐ dit la menace judiciaire pour faciliter l'expulsion de patients âgés de l'unité de débordemen­t de l'hôpital Le Royer, à Baie-Comeau. Cette mesure survient à la suite des nombreuses fer‐ metures annoncées le 13 mai dernier en raison du manque de personnel dans la région.

Dans cette lettre, d'abord lue par l'animateur Paul Ar‐ cand sur les ondes du 98,5 FM, l'administra­tion de l'éta‐ blissement prévoit le trans‐ fert de patients âgés en at‐ tente d'une place au CHSLD de Baie-Comeau vers un autre CHSLD de la région où des lits sont disponible­s, les prévenant qu'un refus de leur part pourrait entraîner des démarches judiciaire­s, de même qu'une facturatio­n des soins reçus.

À défaut de quitter immé‐ diatement l’unité de débor‐ dement, nous n’aurons d’autre choix que d’appliquer la pénalité prévue, soit de vous facturer pour les jours d’occupation non autorisés et de présenter en urgence une demande d’injonction requé‐ rant votre expulsion, et ce, sans autre avis ni délai. No‐ tez que si une telle demande d’injonction est nécessaire, nous vous tiendrons égale‐ ment responsabl­e des coûts qu’engendrera cette de‐ mande pour l'établissem­ent, peut-on lire dans le docu‐ ment.

Selon le CISSS de la CôteNord, il s'agirait d'un simple gabarit conforme aux direc‐ tives de l'organisati­on. Ainsi, aucune copie de cette lettre n'aurait été envoyée à des patients.

Des critères ont notam‐ ment été établis afin de dé‐ terminer quels usagers doivent être transférés en priorité, lorsque la situation le nécessite. Un modèle de lettre a été proposé au cours des dernières semaines au personnel soignant en cas de refus d'un usager d'être transféré dans une autre ins‐ tallation du réseau de la santé. Aucun usager n'a reçu une lettre basée sur ce mo‐ dèle, peut-on lire dans une déclaratio­n écrite de l'établis‐ sement.

En ce qui concerne la fac‐ turation des jours d'occupa‐ tion non autorisés, le CISSS de la Côte-Nord soutient qu'il s'agit du tarif que les patients paieraient s’ils étaient déjà dans l’hébergemen­t adapté à leur condition, comme un CHSLD.

Si une place dans un hé‐ bergement adapté à sa condition était disponible sur la Côte-Nord, mais qu'un usa‐ ger refusait d'y être déplacé, des frais additionne­ls pour‐ raient lui être facturés pour poursuivre son séjour à l’hô‐ pital. Néanmoins, cette me‐ sure n’est pas appliquée par le CISSS de la Côte-Nord, pré‐ cise l'organisati­on.

Le ministre demande des explicatio­ns

Sur X, le ministre de la Santé, Christian Dubé, quali‐ fie tout de même cette pro‐ cédure d'inacceptab­le. Il ajoute avoir exigé son retrait après avoir été mis au cou‐ rant de la situation jeudi ma‐ tin.

Le sous-ministre à la Santé, Daniel Paré, a déjà communiqué avec la PDG de l'établissem­ent concerné, sur la Côte-Nord, pour la som‐ mer de retirer immédiate‐ ment cette pratique inhu‐ maine et nous confirmons que cette mesure ne sera plus appliquée, peut-on lire dans sa déclaratio­n.

En mêlée de presse jeudi matin, le ministre assure qu'aucune demande d'in‐ jonction visant à ordonner le transfert de patients n'a été formulée.

J’ai été informé de la situa‐ tion. Je pense que le mot est encore plus fort qu’inaccep‐ table. C’est tout à fait contraire à ce que je veux im‐ planter avec la nouvelle orga‐ nisation, c’est-à-dire le re‐ spect des patients, men‐ tionne-t-il.

La confiance du ministre envers le CISSS ébranlée?

Questionné sur sa confiance envers la PDG du CISSS de la Côte-Nord, le mi‐ nistre Dubé soutient que des vérificati­ons doivent toujours être faites afin de déterminer l'origine de la directive.

Je l’ai appris ce matin et je vais en parler plus en détail avec les équipes tant au ni‐ veau du ministère, car il y a des gens au ministère qui ont accepté cette politique, et il y a des gens localement qui ont pris des décisions qui, à mon sens, n’étaient pas ap‐ propriées, lance-t-il.

Je peux comprendre que la situation sur la Côte-Nord est difficile, mais ce n’est pas une raison de traiter les pa‐ tients comme ça, alors j’ai de‐ mandé que ça cesse, ajoute Christian Dubé.

Après avoir demandé la cessation de la directive, le ministre a dit vouloir contac‐ ter les personnes respon‐ sables afin de connaître le nombre de patients concer‐ nés par la mesure.

C'est une honte, estime le Conseil pour la protec‐ tion des malades

Depuis la révélation de cette mesure du CISSS de la Côte-Nord jeudi matin, les ré‐ actions fusent partout au Québec. Plusieurs s'en‐ tendent pour affirmer que la procédure choisie par l'orga‐ nisation est loin d'être adé‐ quate.

Je suis insulté et indigné. C’est si facile de s’en prendre à des personnes vulnérable­s, âgées, et de les menacer de les expulser via les tribunaux, s'exclame le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet.

À quelques heures de l’événement La fierté de vieillir, organisé par le minis‐ tère de la Santé et des Ser‐ vices sociaux, Paul Brunet souligne la lâcheté de l’admi‐ nistration du ministère.

Cet événement, qui doit avoir lieu vendredi, rassem‐ blera le ministre Christian Dubé, de même que la mi‐ nistre responsabl­e des Aînés et ministre déléguée à la santé, Sonia Bélanger.

Honte au ministère de la Santé, honte à la ministre So‐ nia Bélanger si elle n’inter‐ vient pas aujourd’hui. Il faut faire taire les personnes qui menacent au sein même du réseau de la santé., déclare-til.

Sanctionno­ns les per‐ sonnes responsabl­es. Rassu‐ rons les personnes qui ont besoin d’être rassurées et trouvons-leur une place près d’où [elles] ont vécu.

Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades

Celui-ci souhaite égale‐ ment que la future organisa‐ tion de Santé Québec per‐ mette de rétablir la situation sur la Côte-Nord. On veut des gens qui réalisent la mis‐ sion du ministère, du vrai monde qui veut s’occuper des malades, précise Paul Brunet.

Une sortie de crise ra‐ pide souhaitée par des re‐ groupement­s d'aînés

Le président de la FADOQ régionale de la Côte-Nord, Toussaint Richard, souhaite lui aussi des solutions concrètes pour atténuer la crise que traverse actuelle‐ ment la région.

J’ai travaillé pendant 35 ans dans le domaine de la santé, notamment dans le départemen­t des soins de longue durée et des per‐ sonnes âgées. Quand on avait des gens qui nécessi‐ taient des soins aigus, on di‐ sait qu’ils prenaient la place des autres et qu’il fallait trou‐ ver des solutions à ce pro‐ blème. Aujourd’hui, 50 ans plus tard, on a encore le même problème, explique M. Richard.

Pour sa part, la présidente de la Table régionale de concertati­on des aînés de la Côte-Nord (TRCACN), Miche‐ line Anctil, affirme ressentir une grande déception. Celle qui soutient n’avoir jamais eu écho de mesures de ce genre au CISSS de la Côte-Nord in‐ siste sur le caractère inappro‐ prié de la procédure qui était en place.

Jean-Pierre Porlier, pré‐ sident du Regroupeme­nt des comités d'usagers de la CôteNord, a quant à lui décliné notre demande d'entrevue.

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