Industrie de la construction : bras de fer en vue sur la mobilité et la polyvalence
Une vingtaine d'organisa‐ tions comptent se faire en‐ tendre à compter de mardi dans le cadre de la commis‐ sion parlementaire chargée d'étudier le projet de loi 51 visant à réformer et à mo‐ derniser les règles dans l’industrie de la construc‐ tion au Québec. Déjà, le dé‐ bat est lancé entre les syn‐ dicats, la partie patronale et le gouvernement.
La Loi sur les relations du travail, la formation profes‐ sionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l’indus‐ trie de la construction, connue aussi comme la loi R20, n’a pas été révisée depuis 30 ans.
Le ministre du Travail, Jean Boulet, souhaite y ap‐ porter des changements ma‐ jeurs pour, dit-il, améliorer la productivité sur les chantiers, alors que la province est frappée de plein fouet par l’inflation et par une crise du logement sans précédent.
Le gouvernement veut no‐ tamment permettre une plus grande mobilité des tra‐ vailleurs de la construction au Québec et décloisonner plusieurs métiers - il y en a 26 dans l’industrie - pour ins‐ taurer plus de polyvalence chez les travailleurs.
Mais déjà, les syndicats dénoncent en bloc les chan‐ gements à venir et comptent se faire entendre au cours des prochains jours.
Ça va tuer les régions, disent des syndiqués
Le président de la CSD Construction, Carl Dufour, croit que le gouvernement fait fausse route sur plu‐ sieurs aspects dans son pro‐ jet de Loi modernisant l'in‐ dustrie de la construction.
Celui qui représente près de 27 000 travailleurs syndi‐ qués de l’industrie craint que les régions souffrent des changements à venir.
Ce dont on a peur, c’est qu’ils amènent toutes les équipes des grandes villes en région et qu’on perde l’exper‐ tise en région. Ça va tuer les régions, lance-t-il.
Le projet de loi prévoit qu'un travailleur sera consi‐ déré comme mobile, donc admissible à travailler par‐ tout au Québec, après avoir effectué 750 heures de tra‐ vail pour le même employeur dans les secteurs industriel, commercial et institutionnel. À l'heure actuelle, il faut avoir travaillé 1500 heures pour le même employeur pour béné‐ ficier d’une mobilité totale.
Carl Dufour craint aussi que la polyvalence souhaitée dans le projet de loi rebute les travailleurs. Les entrepre‐ neurs soutiennent que cette polyvalence accrue pourrait faire baisser de 10 % le nombre d'heures travaillées sur les chantiers.
Par exemple, un plâtrier pourra effectuer des travaux de peinture sur le chantier lorsqu’il aura terminé son travail.
Ça, je n’y crois pas pan‐ toute quand ils disent qu’ils vont baisser le nombre d’heures en faisant ça, lance le syndicaliste. La polyva‐ lence n’égale pas la compé‐ tence. C’est un gros enjeu qu’on va débattre.
Ce n’est pas en faisant n’importe quoi qu’on va ga‐ gner en productivité.
Carl Dufour, président CSD Construction
Une occasion en or, se‐ lon les entrepreneurs
La partie patronale est plus optimiste face aux chan‐ gements proposés par le mi‐ nistre Boulet.
On est aux prises avec des règles de mobilité qui datent d’un moment où on avait peine à trouver de l’ouvrage. On est dans une situation pour les prochaines années qui est complètement in‐ verse. On se demande où on va trouver la main-d'oeuvre pour réaliser tous les projets qu’on a besoin de réaliser, lance le responsable des af‐ faires publiques à l’Associa‐ tion de la construction du Québec, Guillaume Houle.
Il donne l'exemple d'un travailleur de Saint-Hyacinthe qui déménagerait à Drum‐ mondville. Selon les règle‐ ments en place, l’employé n’aurait plus le droit de tra‐ vailler à Saint-Hyacinthe, puisque les employeurs doivent embaucher de la main-d'oeuvre locale.
Il y a encore des aberra‐ tions et on a la chance d’être plus flexible. Est-ce qu’on pourrait aller plus loin? Assu‐ rément!
Guillaume Houle, respon‐ sable des affaires publiques à l'Association de la construc‐ tion du Québec
L’Association de la construction du Québec de‐ mande au gouvernement d’aller encore plus loin : elle souhaiterait que 100 % des travailleurs soient mobiles, peu importe leur nombre d’heures travaillées.
Guillaume Houle évoque le besoin d'avoir une indus‐ trie plus productive, plus at‐ tractive, plus flexible et plus mobile.
Selon les données de l’As‐ sociation de la construction du Québec, la province ac‐ cuse un retard de producti‐ vité de 8 % par rapport au reste du pays, et de plus de 10 % avec l’Ontario.
Prévoir les besoins d’Hy‐ dro-Québec et inclure les immigrants
La Fédération des chambres de commerce du Québec se fera aussi en‐ tendre lors de la commission parlementaire.
Le regroupement mise beaucoup sur la mobilité et la polyvalence des tra‐ vailleurs, comme souhaité par le gouvernement pour relancer l’industrie.
Le PDG de la Fédération, Charles Milliard, rappelle que l’Ontario compte 7 métiers de la construction, alors qu'on en dénombre 26 diffé‐ rents au Québec.
M. Milliard rappelle que l'industrie aura besoin de 16 000 nouveaux travailleurs chaque année d'ici 2027 pour répondre aux besoins.
Seulement les projets de construction d’Hydro-Québec qui ont été annoncés par le PDG Michael Sabia et le gou‐ vernement pour 2035, c’est près de 35 000 travailleurs de plus.
Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec
Selon M. Milliard, le projet de loi apporte des améliora‐ tions. Mais on va aller en commission pour dire qu’une plus grande mobilité va per‐ mettre une meilleure effica‐ cité sur nos chantiers.
La Fédération demandera aussi des changements dans la loi pour que l’industrie de la construction soit plus in‐ clusive, parce que le Québec change.
Il y a très peu d'immi‐ grants, qu'ils soient tempo‐ raires ou étrangers, qui font partie de la grande aventure de la construction au Qué‐ bec. Et une des façons d’avoir une bonne intégration, c’est de participer à des industries structurantes comme celles de la construction, lance Charles Milliard.
Les consultations particu‐ lières et auditions publiques sur le projet de loi 51 ont lieu du 12 au 14 mars. Ainsi que le 19 mars.