Radio-Canada Info

Les sanctions se suivent, mais la Russie trouve des moyens de les contourner

-

Les alliés de l'Ukraine, dont les États-Unis et le Canada, ont récemment imposé de nouvelles sanctions à la Russie, en représaill­es à son invasion de l'Ukraine. Toutefois, les rondes de sanctions qui se sont suc‐ cédé jusqu'à maintenant n'ont pas réussi à plomber l'économie russe et n'ont pas eu d’effet concret sur le champ de bataille.

La dernière série de me‐ sures punitives a été annon‐ cée quelques jours seule‐ ment après la mort de l'op‐ posant Alexeï Navalny, pour laquelle les dirigeants occi‐ dentaux tiennent le pré‐ sident russe, Vladimir Pou‐ tine, responsabl­e.

Les sanctions précédente­s visaient les institutio­ns finan‐ cières russes, les lucratives exportatio­ns de pétrole et de gaz, les membres du cercle rapproché du maître du Kremlin ainsi que les oli‐ garques extrêmemen­t riches qui le soutiennen­t.

Les sanctions successive­s n'ont cependant pas réussi à changer le cours du conflit et ne semblent pas davantage avoir affaibli la déterminat­ion de Vladimir Poutine.

Et elles n'ont certaine‐ ment pas mis l'économie du pays à genoux, puisque les experts affirment que la Rus‐ sie est non seulement parve‐ nue à contourner les sanc‐ tions, mais qu'elle a pu ren‐ forcer son économie grâce aux dépenses nationales liées à la guerre.

Plusieurs d'entre nous dé‐ couvrent à quel point il est difficile d'utiliser les sanc‐ tions dans le cadre d'un ef‐ fort global pour arriver à nos fins stratégiqu­es, a déclaré l'ancien commandant général de l'armée américaine en Eu‐ rope Ben Hodges, dans une entrevue accordée au réseau CBC depuis Vilnius, en Litua‐ nie.

Nous n'avons pas suffi‐ samment resserré l'étau pour changer les comporteme­nts.

Ben Hodges, ancien com‐ mandant général de l'armée

américaine en Europe

Moscou prêt à renoncer à la croissance économique

Vendredi dernier, le dé‐ partement américain du Tré‐ sor a annoncé de nouvelles sanctions contre plus de 500 entités et personnes asso‐ ciées à l'effort de guerre russe - notamment des en‐ treprises de fabricatio­n de matériel de défense, d'aéro‐ spatiale et de logistique ainsi qu'à l'égard de diri‐ geants de prison qui seraient liés à la mort d'Alexeï Na‐ valny.

Le Canada a annoncé ses propres sanctions la semaine dernière, à l'encontre de 10 personnes et 153 entités, tout comme le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Les sanctions ont, dans une certaine mesure, provo‐ qué un choc économique pour la Russie, a affirmé Ra‐ chel Ziemba, membre auxi‐ liaire du Centre for New Ame‐ rican Security, un groupe de réflexion qui étudie l'effet des sanctions financière­s, dans une entrevue depuis New York.

Le problème est que la Russie est tout à fait dispo‐ sée à renoncer à une crois‐ sance économique à long terme.

Rachel Ziemba, membre auxiliaire du Centre for New American Security

En janvier, le Fonds moné‐ taire internatio­nal (FMI) a ré‐ visé à la hausse ses prévi‐ sions de croissance du PIB russe à 2,6 %, contre 1,1 % en octobre 2023, bien que l'éco‐ nomie du pays reste plus faible qu'avant la guerre et que le FMI prévoie un ralen‐ tissement de la croissance l'an prochain.

Selon Mme Ziemba, les mesures dévoilées la se‐ maine dernière sont peutêtre plus progressiv­es que ce que les décideurs politiques tentent de faire croire, mais elles constituen­t une étape nécessaire pour tenter d'em‐ pêcher la Russie de contour‐ ner les mesures mises en oeuvre antérieure­ment.

Les États-Unis et leurs al‐ liés semblent également indi‐ quer qu'ils commencero­nt à exercer une pression plus forte sur les entités et les pays étrangers qui aident la Russie à échapper aux sanc‐ tions et aux interdicti­ons liées aux importatio­ns et aux exportatio­ns, indique Florian Gassner, professeur associé à l'Université de ColombieBr­itannique.

Vendredi, les États-Unis ont sanctionné plusieurs en‐ treprises et personnes qui fourniraie­nt ou soutien‐ draient le complexe militaroin­dustriel de la Russie.

Une économie tournée vers le pétrole, le gaz... et la guerre

La Russie n'est pas entrée en guerre avec une dette in‐ térieure ou extérieure impor‐ tante, souligne Mme Ziemba, et le pays disposait de plus de 600 milliards de dollars américains en devises étran‐ gères et en réserves d'or dont environ la moitié a été gelée par l'Occident.

Bien que son trésor de guerre ait diminué alors que le conflit entre dans sa troi‐ sième année, les dépenses nationales de défense contri‐ buent en fait à maintenir le pays à flot - et c'est l'une des principale­s raisons pour les‐ quelles le FMI a révisé ses prévisions économique­s pour la Russie cette année.

Ils ont vraiment réorienté leur économie vers une éco‐ nomie de guerre. Même les constructe­urs automobile­s se sont mis à fabriquer des chars militaires.

Rachel Ziemba, membre auxiliaire du Centre for New American Security

Certains critiques es‐ timent que les sanctions n'auront pas d'effet majeur tant que l'Occident ne s'atta‐ quera pas plus durement à l'industrie pétrolière et ga‐ zière de la Russie.

Les pays du G7 et l'Union européenne ont mis en place un plafond de 60 $ US par baril de pétrole brut russe en décembre 2022.

L'objectif était de réduire la capacité de la Russie à uti‐ liser les revenus pétroliers pour financer la guerre sans faire grimper les prix mon‐ diaux. Mais en réalité, le pla‐ fond n'est plus efficace, a dé‐ claré à l'Associated Press Ma‐ ria Snegovaya, chargée de re‐ cherche au Centre d'études stratégiqu­es et internatio‐ nales.

D'une manière ou d'une autre, ils devront finir par s'attaquer aux revenus pétro‐ liers de la Russie et envisager un embargo sur le pétrole.

Maria Snegovaya, chargée de recherche au Centre d'études stratégiqu­es et in‐ ternationa­les

La Russie s'est tournée vers de nouveaux marchés pour son pétrole, soit l'Asie et l'Afrique, et a trouvé des moyens de contourner les sanctions pour continuer à générer des revenus. Lundi, le baril de brut russe s'échan‐ geait bien au-dessus du pla‐ fond, à plus de 77 $ US.

Il sera intéressan­t de voir si les nouvelles sanctions américaine­s à l'encontre de la compagnie maritime russe Sovcomflot changeront quoi que ce soit, signale Mme Ziemba.

Sovcomflot, qui appartient à l'État, est très impliquée dans ce que l'on appelle la flotte fantôme de la Russie, constituée de centaines de navires dont les propriétai­res restent dans l'ombre. Ce stra‐ tagème permet de faire cir‐ culer le pétrole russe sous le radar et d'effectuer des transferts d'un navire à l'autre dans les eaux interna‐ tionales.

Les sanctions person‐ nelles ne sont qu'un désa‐ grément

Les pressions exercées sur les milliardai­res russes par le gel et la saisie de leurs biens personnels - notam‐ ment leurs comptes ban‐ caires, leurs hôtels particu‐ liers, leurs avions privés et leurs yachts de luxe - ont eu peu d'effet sur le soutien des oligarques influents du pays à la guerre.

L'idée était que si l'on ci‐ blait les gens qui ont un mini‐ mum de pouvoir dans la Fé‐ dération de Russie pour les rendre mécontents, ils pour‐ raient alors être en mesure, sinon d'organiser une insur‐ rection, du moins de faire bouger les choses au sein du gouverneme­nt, explique le professeur Gassner.

Au lieu de cela, ajoute-t-il, cette situation s'est en fait avérée pour eux un simple désagrémen­t, et peu de gens se sont réellement retournés contre Vladimir Poutine.

Par ailleurs, l'Associated Press a rapporté en dé‐ cembre que seuls 5,4 millions des 58 milliards de dollars américains en avoirs gelés et saisis ont servi à soutenir l'Ukraine.

Les sanctions sur les biens personnels du pré‐ sident russe, dont la fortune s'élèverait à des dizaines de milliards de dollars, sont quant à elles futiles.

Officielle­ment, Poutine ne possède rien, résume Florian Gassner, qui précise que les biens matériels du président russe se trouvent dans son pays, hors de portée interna‐ tionale, et sont cachés der‐ rière un réseau d'amis, de membres de sa famille et de sociétés-écrans.

L'Occident ne peut dire : "Nous allons cibler ces choses parce que nous pen‐ sons qu'elles appartienn­ent à Poutine, même si nous n'avons aucune preuve", ajoute M. Gassner.

D'après un texte de Nick Logan, de CBC News

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada