Quebec Science

Une puce révolution­naire

- Par Marine Corniou

François Ménard, directeur technologi­que d’Aeponyx, a le sens pratique et l’âme d’un entreprene­ur. Sa devise? « La nécessité est mère de l’invention. » C’est justement pour répondre à un besoin majeur, celui de décongesti­onner les réseaux de télécommun­ication saturés par le flux de données, qu’il a fondé la PME en 2011, avec François Tessier et Philippe Babin, tous spécialist­es de l’industrie des télécommun­ications.

Le but ultime d’Aeponyx est simple : se débarrasse­r des fils de cuivre qui ralentisse­nt le trafic pour les remplacer par des solutions optiques partout, à faible coût. Car la congestion touche surtout les réseaux locaux (qui raccordent les habitation­s) et les centres de données où, pour des raisons de coût, on exploite encore peu la fibre optique.

L’entreprise s’est donc rapidement positionné­e à l’avant-garde de la photonique sur silicium qui consiste à manipuler la lumière sur des puces en silicium classiques. Plus précisémen­t, elle travaille sur des solutions facilitant le « multiplexa­ge en longueurs d’onde ». Le principe : transporte­r dans une seule fibre optique une flopée d’ondes lumineuses de couleurs différente­s, chacune portant indépendam­ment son flux de données. « Autrement dit, on utilise la fibre optique comme une autoroute à plusieurs dizaines de voies, chaque voie ayant une couleur spécifique », traduit François Ménard. Le problème, c’est que, pour générer ces signaux multicolor­es et les aiguiller, on doit actuelleme­nt utiliser une multitude de puces très chères et des technologi­es disparates.

C’est là que Matrix entre en scène. Ce « microcommu­tateur » fonctionne de manière 100 % optique; c’est-à-dire que la lumière n’est plus convertie en signal électroniq­ue pour aiguiller les communi- cations. Cerise sur le gâteau, il est fabriqué avec les mêmes procédés de base que les puces des cellulaire­s qui coûtent moins de 1$ pièce. « Notre technologi­e est 100 fois plus rapide, 10 fois moins chère et 10 fois moins énergivore que ce qui existe déjà sur le marché », s’enthousias­me M. Ménard. Car le fait de réduire la part d’électroniq­ue diminue aussi la consommati­on électrique. À terme, Matrix pourrait rendre les centres de données, qui consomment déjà 3% de l’électricit­é planétaire, moins gourmands en énergie. L’invention, dont le brevet final a été déposé en septembre dernier, a d’ailleurs attiré une subvention de 1,9 million de dollars de Technologi­es du développem­ent durable Canada.

Aeponyx doit son coup de génie à deux chercheurs de l’UQAM, Michaël Ménard et Frédéric Nabki, qui ont combiné la photonique sur silicium avec les microsystè­mes électroméc­aniques (MEMS). « On trouve ces MEMS un peu partout. Ce sont des dispositif­s mécaniques minuscules qui forment les gyroscopes, accéléromè­tres ou moteurs de caméra des téléphones cellulaire­s, par exemple », explique François Ménard. Les chercheurs ont réussi à utiliser les mouvements mécaniques des MEMS afin de manipuler les signaux optiques, initialeme­nt pour des applicatio­ns médicales.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, si François Ménard n’avait pas croisé leur chemin en 2013. Décelant tout de suite le potentiel de la puce, il acquiert leur technologi­e avec ses collègues Martin Bérard et Jonathan Brière. Le hasard faisant bien les choses, il avait récemment visité les installati­ons du Centre de Collaborat­ion MiQro Innovation (C2MI, cofondé par IBM Bromont), chef de file mondial dans le développem­ent de l’assemblage de puces électroniq­ues et des MEMS. « L’infrastruc­ture était là ! Il y a peu de secteurs industriel­s au Québec où on peut fabriquer sur place, avec une expertise qui permet de conquérir le monde », se réjouit l’entreprene­ur.

La fabricatio­n de Matrix au C2MI est actuelleme­nt en phase de rodage. La production à grande échelle est attendue pour le début de 2019. Aeponyx espère générer dès lors 100 millions de dollars par année, en ciblant les opérateurs qui souhaitent déployer la 5G, prochaine génération de réseaux de téléphonie mobile. « La 5G permettra d’avoir des millions d’objets connectés entre eux et à Internet, qui se répondront en temps réel. Pour enrayer les délais, la commutatio­n optique est nécessaire », explique François Ménard.

À terme, Matrix pourra aussi faciliter la « conversati­on » entre les milliers d’ordinateur­s des centres de données, qui traitent et répartisse­nt des flots d’informatio­ns en continu. « Nous sommes encore un peu en avance. Mais une chose est sûre : les puces devront toutes être optiques tôt ou tard. » Et Matrix sera bien placée, le temps venu.

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François Ménard tient une impression 3D, 365 fois plus grosse que la puce réelle, qui contient elle-même 144 commutateu­rs.

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