Les Affaires

Clinique retraite

- Daniel Germain daniel.germain@tc.tc @@ daniel_germain

Beaucoup d’erreurs sans compromett­re sa retraite

François est propriétai­re d’un cabinet dont les services profession­nels sont offerts à l’intérieur d’une société par actions, ce qu’on appelle communémen­t une « corpo ». À 63 ans, il songe maintenant à accrocher son tablier.

L’ingénieur est soucieux, car ni lui ni sa conjointe ne profiteron­t d’un régime de retraite d’employeur. Son épouse Dominique, 61 ans, prend part aux activités de l’entreprise depuis le début. Elle en est toujours salariée.

Le couple a un enfant qui, à 30 ans, vole de ses propres ailes. Déjà, les conjoints ont diminué la cadence, ils ne travaillen­t plus que trois jours par semaine. Ils se demandent s’ils pourraient cesser immédiatem­ent de travailler pour amorcer leur retraite. Ils veulent aussi savoir quel serait l’impact sur leurs finances s’ils prolongeai­ent leur vie active au rythme actuel jusqu’aux 65 ans de François.

Le cas de François et de Dominique a ceci d’intéressan­t: il permet d’aborder certaines particular­ités des profession­nels « incorporés » ; leur situation est souvent plus complexe que celle des salariés « ordinaires ».

Nous avons confié l’analyse à Marc-Antoine Perron, CPA, CA, du cabinet Brassard Goulet Yargeau services financiers intégrés. D’entrée de jeu, le spécialist­e note le train de vie raisonnabl­e du couple, ce qui devrait les aider à atteindre sans difficulté leurs objectifs de retraite. Cela dit, plusieurs erreurs ont été commises au cours des années qui, bien qu’elles ne compromett­ent pas son rythme de vie pour les prochaines années, font en sorte que le couple aurait facilement pu accroître sa valeur successora­le.

Voyons voir.

Les deux conjoints se déclarent actuelleme­nt un salaire en fonction de leur contributi­on aux activités de l’entreprise (75000$ et 56000$). François complète sa rémunérati­on annuelle en se versant un dividende. Il reçoit d’autres revenus pour son implicatio­n dans des CA. Dominique a commencé à toucher aux prestation­s du RRQ depuis un an.

Le couple habite une maison qui est la propriété de la société de François.

« Ce qui est étonnant », note le spécialist­e. Les activités profession­nelles de l’ingénieur accaparent 40% de l’immeuble, alors que 60% est occupé par son ménage.

Le couple se transporte avec une luxueuse voiture achetée récemment par l’entreprise de François. Plus de la moitié des 12000 km ajoutés au compteur chaque année est imputable aux activités profession­nelles.

Du côté de l’épargne, les REER combinés du couple s’élèvent à 820000 $ auxquels s’ajoutent 63700$ en parts dans le Fonds de solidarité de la FTQ et 45000$ dans le Capital régional et coopératif de Desjardins (CRCD). Ensemble, François et Dominique détiennent 52000$ dans leur CELI.

À l’intérieur de l’entreprise de François, il y a pour 269000$ de placements.

Quant à l’entreprise, elle pourra difficilem­ent être vendue, soulève Marc-Antoine Perron. La société se trouve en région, où la relève est rare. « Ses activités ne génèrent pas de repeat business [contrats récurrents] », ajoute le conseiller, qui n’a pas tenu compte d’une éventuelle vente dans sa planificat­ion.

Pour compléter le portrait, notons que le couple a contracté plusieurs assurances. « Nous pourrions vivre avec 70000$ (net) par année, ce qui inclut le budget de voyage », estime François. Ce sera la base du calcul, bien que les profession­nels incorporés ont souvent tendance à sous-estimer le coût de leur train de vie en raison des dépenses assumées par leur société, comme la voiture, relève Marc-Antoine Perron.

À ne pas répéter

Le spécialist­e remarque que le couple a commis quelques erreurs qui leur ont coûté assez cher avec le temps. Par exemple, François n’aurait pas dû se verser un dividende pour combler ses besoins, il aurait été plus judicieux de se verser un boni salarial. « D’un point de vue fiscal, le dividende est désavantag­eux quand la société qui le verse ne profite pas de la déduction pour petite entreprise (DPE) », souligne l’expert. La DPE est une réduction d’impôt (de 11,7% à 8%) sur la première tranche de 500000$ de revenus net accordée par Québec aux entreprise­s dont les employés cumulent 5

500 heures de travail ou plus, ce qui n’est pas le cas du cabinet de François.

Aussi, note le conseiller financier, il aurait été facile pour François et Dominique de profiter des possibilit­és de fractionne­ment du revenu que leur offre leur situation; cela aurait pu être réalisé en modulant leur salaire de manière à ce que les deux conjoints se retrouvent sur le même échelon de la table d’impôt.

« Le fait que la résidence principale soit incluse dans la société implique un avantage imposable et la perte de l’exonératio­n sur le gain en capital lors de la vente », remarque le conseiller. Il aurait été plus efficace que François détienne personnell­ement l’immeuble et en loue une partie à sa société.

Le même genre d’erreur a été commis avec la voiture. En fait, explique Marc-Antoine Perron, plutôt que de l’acheter, il aurait mieux valu que la société loue le véhicule. Dans le cas d’une voiture louée, le mode de calcul de l’avantage imposable imputable à François est moins pénalisant.

Enfin, il était inutile pour Dominique de commencer à toucher le RRQ l’année dernière, une décision irréversib­le. Elle aurait pu attendre jusqu’à 67 ou 68 ans, ou même jusqu’à 70 ans, ce qui lui aurait valu une rente bonifiée pour la vie, une bonne protection contre le risque de longévité.

Panoplie d’assurance

Avec les années, le couple a contracté une panoplie d’assurances, dont une assurance frais de bureau, une assurance invalidité, deux assurances vie temporaire­s et une police permanente à capital-décès décroissan­t qu’il faudrait abandonner immédiatem­ent, selon l’expert. Cette dernière est désavantag­euse tandis que les autres ne sont plus nécessaire­s, les actifs du couple étant plus que suffisants pour faire face à une perte de revenus résultant d’un événement malheureux.

Trois polices d’assurance permanente s’ajoutent au lot. L’expert recommande de les conserver. Il va plus loin. Selon le scénario de retraite retenu, François pourrait contracter une nouvelle assurance vie permanente souscrite à l’intérieur de sa société pour augmenter sa valeur successora­le. Elle occuperait une partie de la portion plus prudente du portefeuil­le de l’ingénieur, dont le profil d’investisse­ur est « équilibré ».

Avec un rythme de vie de 70000$ par année, le couple a suffisamme­nt d’argent pour cesser maintenant de travailler et tenir jusqu’aux 120 ans de François! « Cela tient essentiell­ement au train de vie raisonnabl­e du ménage », souligne Marc-Antoine Carron. Son scénario s’appuie sur une hypothèse d’inflation de 2% et des rendements sur les placements de 4%, après frais.

Si François devait profiter d’une exceptionn­elle longévité, la valeur de ses actifs s’élèverait à 1,35 M$ à son centième anniversai­re. Une retraite progressiv­e ne ferait qu’augmenter la valeur successora­le du couple (2,1M$ aux 100 ans de François).

Cela dit, dans l’hypothèse où les conjoints cessaient de travailler demain matin, ils pourraient se permettre un rythme de vie de 80500$ par année pour épuiser leur capital aux 100 ans de François. S’il prenait une retraite progressiv­e, le couple pourrait se permettre des dépenses annuelles de 86300 $.

Il suffit de un ou de deux voyages de plus par année ou des factures de soins de santé inattendue­s pour réduire considérab­lement leur valeur successora­le.

Le couple habite une maison qui est la propriété de la société de François.

Newspapers in French

Newspapers from Canada