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ÉLECTIONS : N’ALLEZ PAS CROIRE QUE LES TROLLS VONT RESTER PASSIFS

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

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Le Canada comptait 210000 étudiants étrangers aux cycles supérieurs en 2017, soit 13% de tous ses étudiants de ces cycles, comparativ­ement à 6% pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Cette performanc­e, qui s’explique par la bonne réputation de notre système d’éducation, donne au Canada un avantage indiscutab­le sur le plan du recrutemen­t d’une main-d’oeuvre qualifiée pour assurer sa prospérité.

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Les avoirs financiers des Canadiens ont baissé en 2018 pour la première fois depuis 2008 selon un rapport d’Investor Economics. Cela s’explique à la fois par la chute des rendements financiers et par le fait que les ménages ont remboursé plus de dette qu’ils ont réalisé des gains financiers. L’endettemen­t des ménages représente actuelleme­nt plus de 180% de leur revenu disponible. Il dépasse les 200% dans les grandes villes et il est d’environ 160% au Québec.

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré en avril dernier que les prochaines élections fédérales allaient « très probableme­nt » être victimes d’ingérence étrangère. Elle a raison. Rien n’a encore filtré, ce qui ne veut pas dire que les trolls ne sont pas déjà à l’oeuvre. Un troll est un internaute activiste généraleme­nt malfaisant qui s’immisce dans des débats pour désinforme­r, distraire, lancer de fausses nouvelles, amplifier des messages extrémiste­s, créer des controvers­es, faire avancer des idées, orienter des décisions.

Les trolls ont été très actifs pour soutenir le Brexit au Royaume-Uni, détruire la réputation de Hilary Clinton, faire élire Donald Trump à la présidence américaine, nuire à la République en marche d’Emmanel Macron, attaquer les opposants à la présence de la Russie en Ukraine et en Biélorussi­e. Selon le Centre de la sécurité des télécommun­ications du Canada, 50% des élections nationales tenues dans des démocratie­s avancées en 2018 ont subi des cybermenac­es.

Outre les trolls eux-mêmes, des sites informatiq­ues ont piraté des serveurs pour voler des données et des courriels qui ont été ensuite transmis à des opposants. Tous ces exemples impliquent la Russie et ses agents qui, bien entendu, ont toujours nié ces faits. Certes, il ne faut pas penser que la Russie a le monopole de ce genre de manoeuvres, mais il appert qu’elle est de loin la plus active sur ce terrain.

Pourquoi le Canada?

Pourquoi la Russie interviend­rait-elle dans les élections canadienne­s? En gros, pour perturber l’ordre établi comme elle l’a fait dans d’autres démocratie­s. Les États-Unis sont un cas particulie­r en raison des longues relations de Trump avec des oligarques russes. Trump a longtemps voulu avoir son nom sur un hôtel que des oligarques auraient construit à Moscou (Trump n’investit pas, mais se fait payer pour y mettre son nom), et il a vendu des dizaines de condos à des oligarques qui avaient de l’argent à blanchir. Il faut savoir que les transferts d’argent servant à acquérir de l’immobilier ne font pas l’objet du même contrôle que les transferts servant à l’achat de produits financiers. Ces transferts sont depuis longtemps une très importante source de financemen­t de la Trump Organizati­on.

Le Canada n’a pas de très grands sujets de discorde avec la Russie, mais elle n’est pas un pays ami. En plus d’interdire son territoire à la ministre Freeland (elle a été journalist­e en Ukraine pour The Economist et a écrit des livres que Moscou n’a pas aimés), la Russie revendique des territoire­s dans l’Arctique qui seraient dans les eaux canadienne­s. La Russie en veut aussi au Canada pour sa condamnati­on de son annexion de la Crimée et son invasion de l’est de l’Ukraine. Cette prise de position a valu au Canada deux fausses nouvelles provenant de sites russes: la mort de 11 militaires canadiens en Ukraine en 2016 et la mort de trois autres soldats après l’explosion de leur véhicule sur une mine.

L’Internet Research Agency, un organisme russe qui crée des sites Internet et qui diffuse de l’informatio­n présentée comme du journalism­e indépendan­t, a utilisé 419 comptes Twitter pour promouvoir le Brexit et pour aider la campagne électorale de Trump (selon l’historien Timothy Snyder de l’Université Yale, auteur de The Road to Unfreedom).

De son côté, Russia Today, qui diffuse des émissions de télévision en plusieurs langues partout dans le monde, a donné du temps d’antenne à plusieurs leaders de droite de plusieurs pays. Le diffuseur a versé 40000$ à Michael Flynn, premier conseiller à la sécurité de Trump, pour être conférenci­er. Flynn était assis à côté de Poutine.

Le Canada n’est pas immunisé contre le populisme, un courant qu’a capté Maxime Bernier.

Civilisati­on supérieure

La cyberactiv­ité de la Russie dans les pays démocratiq­ues s’explique en partie par le fait que Poutine ne croit pas en la démocratie. Inspiré par le philosophe fasciste Ivan Ilyin, il veut démontrer à la fois que la démocratie est un système voué à l’échec et que la Russie doit être définie non pas comme un pays, mais comme une civilisati­on supérieure, dont l’influence devrait s’étendre de Lisbonne à Vladivosto­k et créer l’Eurasia. Selon ce concept, l’Union européenne est une structure qui asservit ses pays membres, d’où l’appui de Poutine aux mouvements sécessionn­istes du Royaume-Uni (Brexit), de la France (la Russie finance le Front national), de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Autriche, de l’Ukraine, etc. En vertu de ce concept, l’Ukraine et la Biélorussi­e, où l’on parle le russe, sont inséparabl­es de la Russie.

Le Canada est aussi dans l’erreur, d’où la justificat­ion pour Poutine de profiter de l’élection pour créer de la bisbille, miner sa démocratie.

Les trois-quarts des Canadiens préfèrent la démocratie, mais le Canada n’est pas immunisé contre le populisme, un courant qu’a capté Maxime Bernier. Un récent sondage, réalisé auprès de 3524Canadi­ens par l’Université Simon Fraser, a révélé que 23% des répondants s’accommoder­aient d’un gouverneme­nt non démocratiq­ue ou autoritair­e, que 51% accepterai­ent que le pays soit dirigé par des experts, que 43% estiment que la démocratie canadienne est déficiente, que 68% des élus ne se préoccupen­t pas de que pensent les gens ordinaires, que 44% jugent ne pas avoir d’influence sur la gouverne du pays et que 61% sont d’avis que les intérêts de l’élite passent avant ceux des gens ordinaires.

En plus d’interpelle­r nos dirigeants politiques, ces perception­s indiquent qu’il faut se préoccuper de la santé de notre démocratie, notamment en surveillan­t les dirigeants autoritair­es, en s’assurant d’avoir des médias de qualité et en santé et en promouvant des valeurs d’intégrité et de transparen­ce dans la gestion de la chose publique.

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