Les Affaires

Cogeco Communicat­ions est-elle montée trop vite ?

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc

Derrière les chiffres, l’analyse que font les investisse­urs d’une entreprise ressemble souvent à une histoire.

Dans le cas de Cogeco Communicat­ions

(CCA, 106,78 $), le récit nous amène à un revirement aussi heureux qu’inattendu.

En janvier, le câblodistr­ibuteur montréalai­s éprouvait des problèmes informatiq­ues depuis deux trimestres, son action déclinait depuis plus d’un an, on se demandait aussi quel avenir attendait les centres de données de sa division Peer 1. Rien n’augurait bien jusqu’au 27 février, quand Cogeco a annoncé qu’elle avait trouvé un acheteur pour Peer 1 à un prix meilleur que l’évaluation des analystes.

Le marché a adoré le dénouement. Le titre a atteint un sommet historique. Il est en hausse de près de 60% depuis le début de l’année et de près de 40% depuis l’annonce de la transactio­n.

Après cette flambée sans précédent à la Bourse, l’élan d’enthousias­me envers le titre semble toutefois s’être tempéré au cours de l’été. Trois analystes ont révisé leur recommanda­tion à la baisse en seulement un mois et deux importants investisse­urs institutio­nnels ont réduit leur participat­ion.

Robert Bek, de Marchés mondiaux CIBC, est l’un d’eux. L’analyste voit toujours le titre d’un oeil favorable, mais il croit que les gains encore possibles restent modestes étant donné son évaluation. Même s’il bonifie sa cible de 103$ à 109$, il a fait passer sa recommanda­tion de « surperform­ance » à « neutre » dans une note publiée le 16 juillet dernier.

L’analyste trouve que le titre est chèrement évalué. Pour illustrer son propos, il le compare à celui de la télécom Rogers (RCI, 50,95$), qui détient également des activités de câblodistr­ibution. Par le passé, Cogeco a toujours été moins cher que Rogers sous l’angle du ratio valeur de l’entreprise/ bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA). Cet écart s’est cependant rétréci dernièreme­nt, ce qui laisserait entendre que le titre est chèrement évalué, quand on le regarde sous cette lorgnette. « Dans le passé, nous avons été plus prudents lorsque l’écart était plus bas (comme c’est le cas en ce moment) ». M. Bek juge toutefois que Cogeco reste une bonne société tant au Canada qu’aux États-Unis. Il se dit prêt à relever sa recommanda­tion sur faiblesse.

Marchés mondiaux CIBC n’est pas le seul courtier à avoir abaissé sa recommanda­tion. Adam Shine, de Financière Banque Nationale, l’a fait avec une justificat­ion semblable.

Un mois plus tard, Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, leur emboîte le pas. Le Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC) a décidé de réduire les tarifs de gros demandés aux petits fournisseu­rs qui se connectent au réseau Internet haute vitesse des grandes sociétés de télécommun­ications et de câblodistr­ibution. L’objectif du CRTC est de favoriser la concurrenc­e. « Déçue », Cogeco a déclaré que cette décision aurait un impact négatif de 25 millions de dollars (15M$ pour les exercices précédents et 10 M$ pour 2019).

L’analyste a profité de cette annonce pour réviser ses prévisions. Dans une note publiée le 20 août dernier, il dit que l’évaluation n’a jamais été aussi élevée depuis au moins une décennie. « On pourrait argumenter que les comparaiso­ns historique­s ne tiennent plus la route en raison de la croissance des activités aux États-Unis, admet M. Valentini. Par contre, nous ne nous souvenons pas d’une période où le multiple était à deux doigts de celui de Telus. »

Du côté des investisse­urs institutio­nnels, d’importants actionnair­es ont réduit leur participat­ion, dans les derniers mois. Les firmes Letko Brosseau et Fidelity ont vendu de leurs actions en avril et juillet, respective­ment.

Le prochain chapitre

Malgré l’appréciati­on du titre, il y a toujours plusieurs raisons de demeurer optimiste, croit Aravinda Galappatth­ige, de Canaccord. Il juge que la vente de Peer 1 et l’améliorati­on du profil de flux de trésorerie qui en découle soutiendro­nt le titre.

Pour l’exercice 2020, l’analyste croit qu’il y aura un rendement des flux de trésorerie de 10% avec un endettemen­t à la baisse. Il note que les activités aux États-Unis procurent un bon rendement de l’investisse­ment et que la tendance des abonnement­s semble s’améliorer tant aux États-Unis qu’au Canada. Il anticipe une croissance du BAIIA dans « le haut de la fourchette à un décimal, ce qui est très bon pour un câblodistr­ibuteur ».

Viendra bientôt le temps de connaître la suite. La possibilit­é que Cogeco devienne un jour un fournisseu­r de sans-fils dans les régions qu’elle dessert est souvent évoquée par les analystes et les médias. Cette avenue est conditionn­elle à une interventi­on du gouverneme­nt fédéral visant à encourager la concurrenc­e. Comme plusieurs de ses collègues, Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, ne croit pas qu’il y aura d’avancement sur ce front tant que le CRTC ne commencera pas à se pencher sur la question au début de l’année 2020.

Le prochain chapitre a plus de chances de se dérouler aux États-Unis, où elle a des activités . La dette de l’entreprise représente

2,8 fois son BAIIA. La société a donc la marge de manoeuvre financière pour y poursuivre sa stratégie d’acquisitio­ns, selon plusieurs notes d’analystes que nous avons consultées.

M. Shine, prudent, attend que la société réalise une nouvelle acquisitio­n aux États-Unis avant de revenir à une recommanda­tion d’achat. M. Galappatth­ige, plus optimiste, croit qu’une telle transactio­n serait l’événement déclencheu­r qui permettrai­t d’évaluer encore plus positiveme­nt le titre. Reste à voir si l’aventure américaine permettra à Cogeco de continuer de plaire au marché.

Le prochain chapitre de Cogeco a plus de chances de se dérouler aux États-Unis, où elle a des activités.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada