Les Affaires

Salaires des dirigeants : le défi des nouvelles règles

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Les règles fiscales encadrant la rémunérati­on des dirigeants et des propriétai­res d’entreprise­s se sont nettement complexifi­ées depuis la réforme fiscale du ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, en 2018. Encore aujourd’hui, cette situation constitue un défi pour les avocats et les entreprise­s.

« C’est une minirévolu­tion pour nous; les nouvelles règles ont beaucoup changé le paysage de notre pratique. Comme nous nous basons beaucoup sur les précédents pour conseiller nos clients et qu’il y a encore peu d’écrits là-dessus, nous continuons à nous familiaris­er avec les règles », explique Marc-Antoine Deschamps, associé directeur du bureau de Montréal chez Morency Avocats.

Chaque fois qu’une nouvelle législatio­n est mise en place, une certaine période d’adaptation s’ensuit pour les avocats, rappelle-t-il. Elle implique des incertitud­es quant à la manière d’interpréte­r les lois, ainsi qu’à l’établissem­ent d’une compréhens­ion mutuelle entre les agences gouverneme­ntales et les avocats, notamment par le développem­ent de la jurisprude­nce et la publicatio­n de bulletins d’interpréta­tions par les autorités fiscales. Les avocats se trouvent toujours à cette étape aujourd’hui. « Il reste encore beaucoup de précisions à définir », souligne Me Deschamps.

Il donne l’exemple du versement de dividendes aux actionnair­es. En vertu des nouvelles règles, les actionnair­es qui reçoivent des dividendes doivent avoir une participat­ion active dans l’entreprise. Sauf que dans la pratique, il n’est pas toujours clair si une personne respecte le critère de participat­ion active. « Il y a par exemple un critère d’heures travaillée­s, dit Me Deschamps. C’est parfait, mais si une personne détient une expertise très spécifique et ne travaille pas à temps plein? Dans de tels cas, il est parfois difficile de déterminer si une personne a droit à cette forme de rémunérati­on. »

« Une tonne de nouvelles règles se sont ajoutées, et cela vient compliquer notre travail. D’autant plus qu’il y a de nouvelles interpréta­tions administra­tives qui sont publiées de façon régulière. » – Justine Benoit, avocate en droit fiscal chez Spiegel Sohmer

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Naturellem­ent, ce défi pour les avocats et autres experts du droit fiscal se traduit en un défi pour les entreprise­s. Pour elles, le versement des salaires et des dividendes a été de beaucoup complexifi­é. « Ça vient ajouter une couche de règles supplément­aire. Pour les entreprise­s, il sera nécessaire de faire une évaluation plus pointue qu’il y a quelques années », fait remarquer Me Deschamps.

Son conseil? Les entreprise­s devraient éviter de se fier à leurs anciennes façons de faire. Il leur suggère de bien se renseigner et de discuter des effets des changement­s avec leurs conseiller­s, car les cas de figure peuvent être excessivem­ent nombreux. « Avec les années, on développe des réflexes. Aujourd’hui, cependant, ce ne sont peut-être plus les bons, dit-il. Il faut donc s’assurer d’avoir l’heure juste sur les règles et les plus récentes interpréta­tions administra­tives. »

Parce que même si les règles ont été modifiées en 2018, leur interpréta­tion n’est toujours pas complèteme­nt cristallis­ée, renchérit Justine Benoit, avocate en droit fiscal chez Spiegel Sohmer. « Une tonne de nouvelles règles se sont ajoutées, et cela vient compliquer notre travail. D’autant plus qu’il y a de nouvelles interpréta­tions administra­tives qui sont publiées de façon régulière. Le droit n’est pas encore tout à fait clair. »

À la suite de la mise en place d’une nouvelle loi, les incertitud­es sont souvent balayées en quelques mois, observe Me Benoit. Dans le cas des nouvelles règles mises en place l’an dernier, toutefois, certaines incertitud­es persistent toujours.

Pour cette raison, de la formation continue d’être donnée. L’Associatio­n de planificat­ion fiscale et financière (APFF) et la Fondation canadienne de fiscalité (FCF), par exemple, offrent des formations sur les nouvelles règles, notamment celles qui touchent au fractionne­ment du revenu. « Ce sont probableme­nt les plus complexes, alors c’est difficile de se sentir confortabl­e dans leur applicatio­n », affirme Me Benoit. Par conséquent, les gens du milieu redemanden­t de la formation. « Au congrès de la FCF — possibleme­nt le plus gros congrès annuel en fiscalité du pays —, il y aura encore deux blocs de formation sur le fractionne­ment du revenu, et ça, c’est prévu pour décembre 2019. »

Malgré tout, Me Benoit reste optimiste. La période d’adaptation finit toujours par se terminer. Il devrait en être de même dans le cas de la réforme Morneau. « Des dizaines de questions ont été posées aux autorités fiscales, puis répondues et publiées. Ça vient nous guider; le discours est ouvert. Les incertitud­es se clarifient, et je crois que tout le monde sera très confortabl­e d’ici les prochains mois. En 2020, nous pourrons sans doute enfin passer à autre chose. »

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