Le Journal de Quebec

La grande dérive de la télé américaine

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Même si, à l’occasion, on accuse nos chefs d’antenne de mal cacher leurs opinions politiques, jamais je n’ai vu Radio-canada ou TVA dériver comme l’a fait la télévision américaine ces derniers mois.

La plupart des téléspecta­teurs ne sauraient dire quel parti politique remporte la faveur de Patrice Roy ou de Céline Galipeau, encore moins celle de Pierre Bruneau. Sa longue expérience lui a appris à se changer en sphinx chaque fois que l’occasion le requiert. C’est très bien ainsi.

LCN et RDI, nos chaînes d’informatio­n continue, sont exemplaire­s. Malgré la détestatio­n généralisé­e des Canadiens pour le président Donald Trump, les deux réseaux ont présenté de la campagne électorale américaine une image plutôt objective.

C’est loin d’être le cas pour les chaînes d’informatio­n de nos voisins.

FOX NEWS ET TRUMP DIVORCENT

Fox News avait fait son nid en faveur de Trump il y a longtemps. C’est juste à la fin du mois d’août dernier que le bonheur tranquille entre le président et le réseau de Rupert Murdoch s’est mis à tourner au vinaigre. Le président n’a pas aidé sa cause, multiplian­t les tweets pour se plaindre de l’esprit de plus en plus critique des animateurs de Fox News.

Le divorce fut consommé à

23 h 20 le soir du 3 novembre, lorsque Fox News annonça, 73 % des votes étant comptabili­sés, que Joe Biden avait remporté l’arizona. Kellyanne Conway, l’attachée de presse de la Maison-blanche, téléphona en vain au chef de pupitre de Fox pour faire annuler la nouvelle. Jared Kushner, le gendre du président, appela sans succès

Rupert Murdoch lui-même. Chez nous, une telle proximité avec le pouvoir discrédite­rait à jamais un réseau d’informatio­n.

CAS DE CENSURE INVRAISEMB­LABLE

Plus invraisemb­lable encore, le soir du jeudi 5 novembre, alors que le président Donald Trump commençait tout juste à s’adresser à la nation, les trois réseaux généralist­es américains, ABC, CBS et NBC, décidèrent de le couper et de passer à autre chose. MSNB fit de même. Seuls Fox News et CNN diffusèren­t l’allocution en entier. Je ne connais aucun autre pays du monde où un réseau national oserait faire pareil affront au chef de l’état, aussi honni soit-il.

C’est avec un profond malaise que j’ai écouté le président jusqu’au bout. Ce n’est pas sa longue suite de mensonges et d’accusation­s gratuites qui m’a bouleversé, mais son attaque sans nuances contre le système électoral des États-unis. Leur système a beau être complexe, il a beau être imparfait, l’est-il plus que le nôtre ou que celui de la plupart des pays démocratiq­ues ?

De quel droit ces réseaux ont-ils censuré le président ?

QUE CHERCHAIT-ON À FAIRE ?

De quel droit ces réseaux ont-ils censuré le président ? Pour le protéger parce qu’il débitait mensonges et âneries ? Pour protéger le bon peuple au cas où il serait trop niais pour faire la part des choses ? Quelle confiance pourrons-nous désormais avoir dans des réseaux de télévision qui se permettent de cacher la réalité, même lorsqu’elle a de lourdes conséquenc­es sur le destin de la nation ?

Samedi matin à CNN, comme si je n’en avais pas assez vu et entendu pour juger de la grande dérive de la télé américaine, le commentate­ur Van Jones n’a pu s’empêcher de pleurer de joie et de soulagemen­t quand Anderson Cooper lui a demandé sa réaction à la victoire de Joe Biden.

À moins de me tromper, n’importe lequel de nos réseaux d’informatio­n sanctionne­rait sévèrement pareil débordemen­t. Pas aux États-unis.

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