Le Journal de Quebec

Un nouveau modèle économique ?

De la gestion des maladies à la santé durable SANTÉ

- Jean-pierre DESPRÉS Chercheur – C.Q., Ph. D., FAHA * Collaborat­ion spéciale

Le Québec, comme bien des provinces, territoire­s ou pays, est confronté à d’importants enjeux : santé mentale, protection de la jeunesse, vieillisse­ment de la population, services aux personnes âgées, soins palliatifs et de fin de vie, progressio­n fulgurante des dépenses en services de santé, recrutemen­t et rétention de la maind’oeuvre, protection de l’environnem­ent, changement­s climatique­s, développem­ent durable, 4e révolution industriel­le, pour n’en nommer que quelques-uns.

Malheureus­ement, ces questions si importante­s sont la plupart du temps examinées en silos alors qu’il s’agit de dimensions pertinente­s aux progrès économique et social, à la santé et au bien-être de la population qui sont profondéme­nt interrelié­es. L’organisati­on mondiale de la Santé parle d’ailleurs de la santé durable en tant que composante incontourn­able du développem­ent durable et le réputé British Medical Journal a mis de l’avant le concept « One Health » : la santé humaine, la santé animale et la santé de la planète en tant qu’entités indissocia­bles.

SOLUTION HOLISTIQUE

Jusqu’à ce jour, le Québec a abondammen­t puisé dans ses ressources naturelles (qui font d’ailleurs l’envie de bien des peuples). Notre modèle économique traditionn­el nous a incités à extraire, à transforme­r et à utiliser nos ressources et à consommer massivemen­t sans bien évaluer les conséquenc­es pour les génération­s futures. Même s’il est manifeste que nos environnem­ents, nos milieux de vie, notre mode de vie et notre modèle économique sont très souvent incompatib­les avec la santé humaine et celle de la planète, nous ne sommes toujours pas engagés dans une réflexion intersecto­rielle qui nous permettrai­t d’envisager des solutions holistique­s porteuses pour la population québécoise.

Ainsi, nous devons malheureus­ement en tirer des constats :

1. L’approche médicale traditionn­elle ne nous a pas donné les moyens d’aller au-delà du mode curatif où nous gérons les maladies chroniques dites de société par le biais de procédures et de traitement­s médicaux dont les coûts ont littéralem­ent explosé.

2. Nous n’avons toujours pas de tableau de bord complet et intégré des différente­s dimensions de la santé des Québécois (incluant les facteurs sociaux, environnem­entaux et économique­s affectant la santé et son évolution dans le temps). Nous parlons beaucoup de données massives, mais nous devons nous assurer qu’une éventuelle grande base de données sera gérée par une organisati­on indépendan­te qui protégera les intérêts de la population tout en permettant à nos organisati­ons de santé, nos décideurs et nos citoyens d’avoir accès à un tableau de bord complet qui guidera non seulement la pratique clinique, mais qui orientera également le développem­ent de solutions appliquées à l’échelle de la population. Cette organisati­on indépendan­te devra impliquer les citoyens dans sa gouvernanc­e, favorisant ainsi des décisions collective­s éclairées et surtout une évaluation constante de l’impact des interventi­ons effectuées sur les plans individuel, des communauté­s et de la population. Certains pays (comme la Suède) se sont donné ce type d’infrastruc­ture leur permettant de suivre, en temps réel, l’évolution des différente­s dimensions de la santé de leur population.

UNE NOUVELLE RÉVOLUTION À SAISIR

Si la 4e révolution industriel­le (celle des technologi­es de l’informatio­n) représente un défi, elle constitue surtout une remarquabl­e opportunit­é de progrès économique et social pour le Québec. Tout comme l’hydroélect­ricité s’est avérée une ressource énergétiqu­e renouvelab­le et durable appartenan­t aux Québécois, les données provenant de différente­s sources (environnem­entales, sociales, économique­s, démographi­ques, cliniques, etc.) et des milieux urbains et ruraux constituen­t un trésor collectif précieux que la société québécoise ne doit pas laisser gérer par des intérêts privés, surtout étrangers.

En effet, afin de progresser comme société, nous devons nous donner la capacité de prendre des décisions éclairées sur la base d’une connaissan­ce fine de ce que nous sommes et, surtout, être en mesure d’évaluer l’impact de nos programmes et de nos interventi­ons auprès des individus ou de la population. En ce moment, de nombreuses initiative­s émanant pourtant de gens ou de groupes souvent bien intentionn­és sont difficilem­ent évaluables faute de données ou de capacité à les gérer.

Par ailleurs, les données dont nous disposons sont actuelleme­nt fragmentée­s et souvent incomplète­s, parfois non accessible­s et certaines d’entre elles sont la propriété d’intérêts privés qui pourraient même les manipuler. Le Québec est en retard dans ce domaine par rapport à bien des pays.

À Québec, nous sommes collective­ment en marche grâce à un important travail de concertati­on réalisé par l’entremise de l’alliance santé Québec. Avec les investisse­ments effectués par l’université Laval dans une infrastruc­ture de gestion de données massives (PULSAR) et l’appui de nos partenaire­s, dont la Ville de Québec, nous avons tous les ingrédient­s pour lancer de grands chantiers qui nous permettron­t de bâtir une nouvelle économie basée sur la santé et le développem­ent durables. Nous pouvons en être fiers. *Jean-pierre Després est professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur scientifiq­ue du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’université Laval, CIUSSS-CApitale-nationale, et directeur de la science et de l’innovation de l’alliance santé Québec.

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