JOHN R. PORTER, HOMME DE PROJETS
L’ancien patron du Musée national des beaux-arts carbure aux défis
Lorsque je le contacte pour ma demande d’entrevue, à l’autre bout du fil, John R. Porter rigole et m’avertit que je vais devoir l’interrompre, car « il en a, des choses à raconter ». Je n’en doute pas une seconde, et ne serai pas déçue.
Le jour de notre rencontre, M. Porter arrive plus que fin prêt, avec ses photos classées de façon impeccable, des ouvrages qu’il a publiés, son curriculum vitae des plus garnis et sa bonne humeur légendaire. « Je suis du type très organisé », lance-t-il devant ma mine impressionnée.
Avec toutes les implications qui garnissent son agenda – la version longue de son curriculum vitae, qui fait 87 pages, en constitue une belle preuve –, M. Porter s’est toujours fait un devoir d’être des plus structurés. Il a après tout mené de front une carrière comme enseignant, tout en ayant oeuvré au sein de trois des quatre plus grands musées d’art au pays.
Puis, sur le plan personnel, il a perdu son père alors qu’il n’avait que 14 ans. Comme il était sérieux, il s’est vite vu attribuer le rôle d’homme de la maison, en quelque sorte.
PARCOURS
Son amour pour la culture s’est lui aussi invité très tôt dans sa vie. Né à Lévis où il a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans, il avait vue sur Québec. « Je suis un admirateur de Québec. J’ai découvert la beauté en regardant Québec sous toutes les lumières, toutes les saisons. »
Il a étudié au Collège de Lévis, où il a côtoyé le peintre et professeur André Garant. Il s’est découvert une passion naturelle pour l’art. Il a obtenu la première maîtrise dans le domaine à l’université Laval et a été recruté, à 23 ans, comme conservateur adjoint de l’art canadien ancien à la Galerie nationale du Canada, le plus grand musée d’art au pays.
Au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), qu’il a dirigé pendant 15 ans et où se déroule l’entrevue, tout le monde vient spontanément à sa rencontre pour le saluer. À en juger par les chaleureuses poignées de main, tous gardent un excellent souvenir de son passage à la direction, de 1993 à 2008, puis à la présidence de la fondation, jusqu’en 2016.
MOT CLÉ
En plus d’aimer rire et travailler en équipe, M. Porter adore les gens, qui le lui rendent bien. Il est loin, ce temps où le petit garçon sérieux et timide se montrait très réservé. Il dit avoir beaucoup appris des autres également. Il pense à son oncle, Edgar Porter, et à Jean Sutherland Boggs, une femme exceptionnelle avec laquelle il a eu la chance de travailler.
« Finalement, on doit tout aux autres, expose-t-il. On dépend des complicités qu’on arrive à développer et, ultimement, ça débouche sur de bons projets. Travailler tout seul, ça ne donne rien. »
Pour John Porter, s’il y a un mot clé dans la vie, c’est bien celui de projet. Et plus ce projet est considéré comme difficile, plus il l’intéresse.
Autant il peut aimer rigoler et faire des blagues, autant il est capable du plus grand sérieux lorsque le moment s’y prête et qu’il faut travailler, faire progresser un dossier. Cette dualité nourrit tous ses projets et l’expérience humaine y est pour beaucoup.
LE SECRET
Et à ses yeux, le secret, c’est de vouloir et de bien s’entourer.
Le plus bel exemple de cette philosophie s’avère être le pavillon Pierre Lassonde, « boîte à image et endroit plein de lumières » qu’il considère comme son « Diamant », dit-il, en référence au magnifique théâtre de Robert Lepage, inauguré tout récemment. Ce pavillon, il l’a imaginé en 1999. Deux ans plus tard, il a couché son idée sur papier, à la demande d’un sous-ministre, puis il a consacré 15 ans à sa concrétisation. Plusieurs considéraient le défi comme impossible à relever.
L’une des plus grandes firmes au monde a été retenue au terme du premier concours d’architecture international de Québec, et le montage financier s’est avéré fort bien ficelé. « C’est un peu de moi, dit-il, mais ça ne m’appartient plus, et c’est ça qui est formidable, c’est comme un bonheur partagé. »
Le pavillon contemporain, à l’architecture exceptionnelle, accueille de nombreuses expositions acquises par le musée dans des contextes hautement improbables.
PLACE DE L’ÉCRITURE
Au fil des décennies, M. Porter a publié une vingtaine d’ouvrages, et l’écriture occupe une place très importante dans sa vie. Il consigne, dans des carnets, toutes les étapes de ses réalisations au quotidien, et ce, depuis 1980. L’ensemble compte 15 000 pages de notes manuscrites qu’il a léguées récemment à Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
« L’écrit m’a toujours servi dans ma dynamique de transmission, de partage. Si je découvre quelque chose, c’est en le partageant que les gens vont pouvoir se l’approprier », explique-t-il.
M. Porter y voit une analogie avec le patrimoine, une autre de ses passions, à travers quatre mots : connaître, recon
naître, s’approprier et transmettre. « L’écriture, c’est ça », dit celui qui y voit un important outil de gestion.
Récipiendaire de nombreux prix et distinctions à l’échelle internationale, John R. Porter n’est pas du genre à s’en péter les bretelles. Son ami Jacques Vilain, ex-directeur du Musée Rodin de Paris, se plaisait à le taquiner. « Il me disait que, si ça continuait, j’aurais l’air d’un maréchal de l’ère soviétique [avec toutes ces médailles]. Si je les mettais toutes, j’aurais l’air d’un arbre de Noël, » s’amuse M. Porter.
Néanmoins, ces distinctions le touchent beaucoup, car la reconnaissance est précieuse. « Ç’a été comme un tremplin, un encouragement à continuer », confie-t-il.
Car ce qui intéresse John Porter, c’est l’avenir, c’est ce qui s’en vient. Fiez-vous à lui, il n’a pas dit son dernier mot et n’a pas accompli son dernier projet. Loin de là.