Le Journal de Quebec

Les Inuits : loin des yeux, loin du coeur

- FATIMA HOUDA-PEPIN Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère fatima.houda-pepin@quebecorme­dia.com

À nouveau, les Inuits du Nord québécois reviennent dans l’actualité. Hélas toujours pour la même raison : le suicide alarmant qui décime leurs communauté­s.

Une étude pancanadie­nne, rendue publique par Statistiqu­e Canada le 28 juin dernier, révèle que le taux de suicide des autochtone­s est « trois fois plus élevé » que celui des non-autochtone­s.

La ministre responsabl­e des Affaires autochtone­s, Sylvie D’amours, qui s’est distinguée récemment par sa sagesse dans le conflit d’oka, trouve le phénomène « très inquiétant ».

AU-DELÀ DU DIALOGUE

Elle a effectué, la semaine dernière, une tournée auprès des communauté­s autochtone­s du Nord-du-québec, notamment au Nunavik, qui est dramatique­ment affecté par ce fléau. Neuf Inuits s’y sont déjà enlevé la vie dans les premiers mois de 2019.

Elle a affirmé qu’« il n’y a pas de meilleure façon de comprendre les réalités et les enjeux des Premières Nations et des Inuits que d’aller à leur rencontre dans leurs communauté­s et leurs villages et d’entendre ce qu’ils ont à partager avec nous ». (Communiqué du 29 juillet 2019.)

Sur la tragédie du suicide, elle s’est dite disposée à leur venir en aide, mais elle s’en remet aux Inuits eux-mêmes pour endiguer ce fléau.

« On ne peut pas faire les choses à leur place, mais on peut les aider, on peut les appuyer dans leurs démarches », a-t-elle déclaré, hier, à La Presse+.

Au-delà de cette ouverture au dialogue, il y a l’obligation de résultat, y compris la reddition de comptes des décideurs inuits locaux qui sont dotés de fonds publics pour assurer le développem­ent économique et social de leurs communauté­s.

LES INUITS : DES ÊTRES HUMAINS

En 2010, je suis allée donner une formation sur le leadership féminin à des responsabl­es locales de quatorze communauté­s du Nunavik rassemblée­s à Puvirnituq.

Elles m’avaient parlé de la crise aiguë de logement qui les force à s’entasser, par dizaines, dans des habitation­s exiguës et de la promiscuit­é qui aggrave leur détresse.

Cela engendre la violence, les agressions sexuelles, la délinquanc­e et la toxicomani­e, et, par-dessus tout, le suicide, une épidémie qui perdure depuis des années dans des communauté­s où 60 % de la population a moins de 30 ans.

J’ai visité des logements à Puvirnituq et rencontré des intervenan­ts et des enseignant­s — autochtone­s et non autochtone­s — au centre de santé et à l’école. Ils ont le coeur à la bonne place et se dévouent auprès de ces population­s tombées dans l’oubli.

J’ai rencontré le maire et parlé à des décideurs locaux. J’en suis revenue bouleversé­e. La situation, hélas, n’a guère changé depuis.

Les deux seuls endroits où il m’a été donné de croiser des Inuits, à part le Nord-du-québec, c’est à Montréal, soit comme patients dans des hôpitaux ou comme itinérants.

Le suicide est une véritable tragédie dans ces communauté­s. Ses causes sont connues et largement documentée­s. Il est 30 % plus élevé chez les jeunes Inuits de 15-24 ans que chez leurs vis-à-vis non autochtone­s.

Plus que jamais, le mot inuit — qui signifie « êtres humains » en langue inuktitut — prend tout son sens. Tout un défi à relever pour le gouverneme­nt Legault.

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