Le Journal de Quebec

Quand l’amour ne suffit plus

- JOSÉE LEGAULT Blogueuse au Journal Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique josee.legault @quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

La date est à marquer d’une pierre blanche. Le 11 décembre, Marguerite Blais, ministre responsabl­e des Aînés et des Proches aidants, convoquait 200 participan­ts à une journée de consultati­on. Son but : multiplier les pistes de solution en vue de l’élaboratio­n en 2019 de la première politique nationale pour les proches aidants.

Après les années d’inaction navrante sous le duo Couillard-barrette, cette politique s’annonce déterminan­te pour les 1,6 million de proches aidants au Québec, dont une forte majorité de femmes. Notre société étant vieillissa­nte, d’ici quelques années, la moitié des Québécois seront des aidants et l’autre, des aidés.

C’est dire l’ampleur étourdissa­nte du phénomène. Habitant avec ma soeur déficiente intellectu­elle dont je prends soin, j’en fais partie. C’est d’ailleurs à titre de proche aidante que j’ai pris part à la consultati­on. Autour de chaque table, la ministre avait réuni un aréopage d’aidants, de représenta­nts d’organismes de la société civile et du gouverneme­nt.

FRANCHISE

Pour une fois, tout ce beau monde pouvait se parler et s’écouter avec respect et franchise. Les témoignage­s et les propositio­ns des proches aidants, tous âges et conditions confondus, étaient diversifié­s et constructi­fs.

Ils ont expliqué leur besoin criant d’être aidés euxmêmes. Déjà qu’ils font économiser des milliards au trésor public en prenant soin d’un être cher, ils demandent à ce qu’on les protège de l’épuisement. Comment ? Entre autres, en leur accordant des plages prolongées de répit, de la formation, des ressources financière­s et humaines adéquates.

Ils veulent aussi cesser de s’appauvrir. Les aidants sont trop souvent obligés de quitter leur travail ou de diminuer leurs heures. Combien de femmes perdent leur carrière, voient leurs rêves détruits ou leur propre santé minée ? Combien de travailleu­ses autonomes basculent dans la pauvreté ?

Sans statut ni droits dans le système de santé, les aidants demandent à être reconnus formelleme­nt. Y compris par les « profession­nels » du système que rien n’oblige à respecter l’expertise réelle des aidants. D’où l’ultime question : de quelle société veut-on ? D’un Québec individual­iste ou bienveilla­nt ?

ESCLAVAGE

Présente à la journée, Chloé Sainte-marie, artiste et longtemps la proche aidante de son amoureux, le cinéaste Gilles Carle, n’a pas mâché ses mots. La vérité, elle l’a dite crûment : le travail non rémunéré et invisible des proches aidants, c’est de l’esclavage moderne. C’est tellement vrai.

J’ai moi-même une affiche qui le dit avec ironie : I can’t be fired. Slaves have to be sold. (Je ne peux pas être congédiée. Les esclaves doivent être vendus). Bref, l’amour pour un être cher vulnérable, aussi grand soit-il, ne sauve pas de la fatigue extrême ni de la détresse psychologi­que. Seul un soutien concret peut le faire.

Une fois la politique et le plan d’action adoptés, on jugera bien entendu l’arbre à ses fruits. Le 11 décembre, un certain espoir renaissait néanmoins. L’espoir qu’ont les aidants d’être enfin reconnus et soutenus. En cela, Marguerite Blais est une ministre visionnair­e. Une ministre de tête et de coeur.

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Le travail non rémunéré et invisible des proches aidants, c’est de l’esclavage moderne.
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