Ce mois de janvier où tout s’écroula
Maintenant et pour toujours, chaque fois que j’entends le son du grésil dans ma fenêtre, des images refont surface, le temps de quelques brefs instants. Vingt ans plus tard, elles sont généralement agréables ou tout du moins dénuées de vives émotions.
Que me reste-t-il de ce fameux mois de janvier 1998? Des images, en effet, car elles étaient nombreuses et elles défilaient à la cadence de ces pylônes qui s’effondraient. Elles ont commencé par ressembler à celles de merveilleuses cartes postales inédites pour rapidement se transformer en visions de désespoir pour les gens qui s’y trouvaient pris au piège.
Je cherche à chasser celles des premières heures, empreintes d’expressions d’une grande crainte, face à une crise tout à fait inédite et qui ne cesse d’évoluer à un rythme affolant.
Le regard de ces ministres, députés et maires, cherchant à être rassurés alors que tous sont conscients que Dame Nature a décidé d’emprunter un chemin dont nul ne connaît l’issue.
Je revois mon reflet dans ce miroir, espérant que tout ceci n’est qu’un mauvais rêve, dont tous voudraient se réveiller et pour lequel personne n’est préparé. Le visage de ces pompiers, policiers et poseurs de ligne qui sont à la tâche depuis plusieurs jours déjà, négligeant souvent leur propre famille, pour sauver ou tout au moins rétablir un peu la situation de cette cause qui semble perdue d’avance.
Je me souviens de cette Rive-sud, toute noire, que j’ai traversée de nuit aux premières heures de la crise et qui me donnait l’impression fugitive d’une région dévastée.
Je revois toutes ces maisons pourtant intactes, qui étaient devenues de vulgaires coquilles vides, privées de tous ses habitants alors réfugiés dans des villages temporaires édifiés à la hâte.
Je pense à ce froid dont l’absence a causé ce chaos et dont tous maintenant appréhendent cruellement le retour précipité.
ARMÉE DE BÉNÉVOLES
Mais je pense surtout, maintenant avec réconfort, à toute cette armée spontanée de bénévoles qui s’est mobilisée, écoutant l’appel de son premier ministre, réalisant quotidiennement de petits miracles de solidarité et d’accueil.
À ces mêmes policiers qui ne sont plus, l’espace de quelques semaines, ni bleus ni verts, mais membres d’une seule cohorte rassurant leurs concitoyens de porte-à-porte dans ce fameux triangle damné.
J’aime revoir ce fonctionnaire qui, comme ses collègues rapatriés des différents ministères, est heureux et fier d’avoir pu dépanner ce concitoyen en manque des choses les plus essentielles. Je le revois plus tard, le coeur gros, retourner à ses fonctions officielles, qui n’ont jamais, de son propre aveu, réussi à lui procurer ce sentiment si intense du devoir accompli envers son prochain.
Ce sont ces images qui ne me quitteront jamais, qui me sont chères, mais que je ne veux plus jamais revoir. Pourtant, je me demande souvent et encore, si prochaine fois il y a, si nous serons vraiment prêts.
J’aime le penser et encore plus y croire, mais le doute subsiste, voire persiste. Car plus ce souvenir est lointain, plus la mauvaise conseillère qu’est la raison économe nous suggère que ce n’était après tout qu’un mauvais rêve qui ne se reproduira jamais. Après tout, elle dira que rien ne s’est vraiment écroulé. Pierre Bélanger a été député d’anjou de 1992 à 1998. Il fut ministre de la Sécurité publique d’août 1997 à décembre 1998. Il est aujourd’hui directeur général de la Fondation de L’UQAM.