Le Journal de Quebec

Jagmeet Singh à la conquête du Québec

Le nouveau chef du NPD promet de faire mentir ceux qui lui prédisent un échec dans la province

- GUILLAUME ST-PIERRE

OTTAWA | Jagmeet Singh a marqué l’histoire dimanche dernier lorsqu’il est devenu le premier chef de parti fédéral issu d’une minorité visible. À peu près inconnu à l’extérieur de son Toronto natal, M. Singh veut passer les prochains mois à aller à la rencontre des Canadiens, lui qui n’est pas élu au fédéral. Certains lui prédisent un échec au Québec, où la délicate question de la laïcité ne cesse d’alimenter les débats. Un sondage Angus Reid publié hier indique d’ailleurs qu’un Québécois sur deux refuserait de voter pour un chef de parti sikh portant turban et kirpan. Le nouveau chef du NPD a promis de déjouer les pronostics lors d’une entrevue en français plus tôt cette semaine. Car selon lui, au-delà des signes religieux qu’il porte, les Québécois partagent ses valeurs progressis­tes. Son premier arrêt dans la province sera au Lac-saint-jean dès mardi.

La nouvelle de votre victoire a fait le tour du monde. Ressentez-vous une pression particuliè­re ? Parfois, je ressens toute l’importance de ce qui se passe. Et c’est génial. Et des fois, je me sens comme si c’était seulement un autre jour de travail.

En tant que premier chef de parti fédéral de minorité visible de l’histoire canadienne, avez-vous l’impression de devoir mieux réussir que les autres ? Dans ma vie, en tant que personne de communauté minoritair­e, j’ai dû travailler plus fort. C’est la réalité. On travaille plus fort et on reçoit moins de crédit. Cela m’a poussé à travailler plus fort et à dépasser mes limites constammen­t. Aussi, je suis ici grâce à ceux qui ont brisé les barrières avant moi, comme Rosemary Brown [la première femme noire à être élue dans une législatur­e canadienne NDLR]. J’espère à mon tour inciter les autres à briser les obstacles dans leur vie aussi. Je me sens cette responsabi­lité.

Qui ont été vos mentors en politique ? J’aime beaucoup la pensée de Martin Luther King. Aussi, Nelson Mandela, particuliè­rement à cause de son courage. Il n’a pas utilisé son pouvoir pour se venger après avoir passé plus de vingt ans en prison. Il a utilisé son pouvoir pour aider le peuple et améliorer la vie des gens. Aussi ma mère m’a inspiré beaucoup cette idée que nous sommes tous connectés et que si les gens autour de nous sont dans une mauvaise position, nous sommes nousmêmes dans une mauvaise position. Elle m’a beaucoup motivé et inspiré. Venez-vous d’une famille de militants ? Pas mon père ni ma mère. Mais mon arrière-grand-père [Sewa Singh Thikriwala] a milité pour la liberté contre les Anglais (en Inde) [les parents de Jagmeet ont immigré à Toronto avant sa naissance]. Il est très connu. Il est dans tous les livres d’école, particuliè­rement dans la région du Punjab.

Quel était votre rêve d’enfance ? Je voulais être un loup-garou. [rires].

Mais avez-vous toujours voulu devenir politicien ? Non. Mon père est médecin. Alors j’ai pensé peut-être faire de la médecine. Après, j’ai voulu être scientifiq­ue. Après, homme d’affaires.

Alors comment êtes-vous devenu politicien ? Quand j’étais dans la vingtaine, mon père est tombé malade et il a arrêté de travailler. J’étais l’aîné, donc c’était ma responsabi­lité d’aider la famille. Alors je voulais un emploi avec de la stabilité. Devenir médecin, c’était trop long et coûtait trop d’argent. J’ai donc choisi avocat pour soutenir ma famille. Durant mes études de droit, j’ai commencé à militer contre la pauvreté, l’augmentati­on des frais de scolarité, et pour les droits des réfugiés et des immigrants. À l’époque, des militants sentaient qu’ils n’avaient pas d’alliés dans le gouverneme­nt et les positions de pouvoir. Ils avaient besoin d’une personne pour faire avancer leurs enjeux dans le domaine politique. Mon frère et un ami m’ont poussé beaucoup et ça a pris six mois à me convaincre. Qu’est-ce qui a été le déclencheu­r ? Ils étaient comme bon cop, bad cop pour essayer de me convaincre. Mon ami disait que j’avais de la facilité à me connecter aux gens et que j’avais du charisme. Mon frère me disait que si je ne me lançais pas en politique, ce serait une trahison de nos valeurs et de notre lutte pour la justice sociale. Finalement, mon frère a réussi à me convaincre.

Vous avez déjà dit que le fait français fait du Canada un meilleur pays. Dans quel sens ? Pour moi, la capacité de parler plus d’une langue permet d’autres façons de penser. Ça augmente notre capacité à être créatifs. Les Québécois travaillen­t très fort pour garder leur langue, et pour cela, il faut protéger et soutenir la culture. Et la culture c’est quoi ? C’est les arts, la musique, les films. Donc on a une richesse grâce à la langue française. Aussi, il y a des valeurs progressis­tes qui viennent du Québec qui ont inspiré tout le pays, comme les garderies [subvention­nées].

Le Québec veut encadrer le port de signes religieux. Vous avez d’abord laissé entendre que vous étiez prêt à combattre cette mesure devant les tribunaux pour ensuite vous raviser puisque selon vous, le Québec est maître de ses lois. Mais pourquoi êtes-vous en désaccord avec la volonté du Québec d’encadrer le port des signes religieux ? Pour moi, c’est une question de droit de la personne. Je sais que c’est une question difficile. À une certaine époque, les femmes n’avaient pas le droit de voter et la communauté LGBT n’avait pas de droits. Mais on ne peut pas choisir de donner des droits à certains et pas à d’autres. C’est une croyance fondamenta­le pour moi.

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