Mon pays, c’est l’hiver ?
Je ne crois pas que ce magnifique éloge de Gilles Vigneault à la saison la plus rigoureuse du Québec inspirerait de nos jours nos chansonniers.
Les Québécois d’aujourd’hui vivant en majorité dans les villes et les banlieuesdortoirs considèrent l’hiver comme une punition et une épreuve inévitable. Ils ont tendance à sous-estimer ses conséquences sur leur façon de vivre, de se nourrir, de se loger et de fraterniser. Depuis des décennies, ils se déracinent donc aussi de cette dimension fondamentale de leur identité.
Paradoxalement, la météo occupe une place exagérée dans notre vie collective. L’importance de la météo dans l’actualité quotidienne donne l’impression que nous sommes majoritairement un peuple de navigateurs, d’aviateurs et de conducteurs de poids lourds, suspendus au thermomètre, au baromètre et autres quincailleries d’analyse météorologique.
Les réseaux spécialisés nous bombardent d’informations détaillées avec facteur éolien en prime, si bien que nous avons le sentiment d’être en permanence au bord de la catastrophe climatique. Qui se révèle d’ailleurs fausse ou très atténuée la plupart du temps.
IMPRUDENCE DES CONDUCTEURS
Si bien qu’à force de crier au loup, les gens n’y croient plus. Ce fut le cas cette semaine où l’on annonçait des précipitations de neige imposantes doublées de vents violents. Or, les gens se sont lancés sur les routes imprudemment avec les conséquences que l’on connaît. Le ministère des Transports était pour sa part aux abonnés absents.
L’incompétence, l’incurie et l’irresponsabilité des fonctionnaires du ministère n’excusent en rien l’inertie du ministre en titre. Laurent Lessard, dont les seuls exploits résident dans la place qu’il occupe dans les médias à cause de questions douteuses, doit être ultimement mis en cause dans cette catastrophe blanche où sept personnes sont décédées.
Les Québécois, sauf ceux qui s’inscrivent dans la tradition hivernale et éprouvent un sentiment d’exaltation à défier l’hiver et ses bourrasques d’une beauté sidérante, sont dans le déni. À l’époque où tout se règle par ordinateur, une tempête de neige est un anachronisme. Car l’hiver est un ennemi impossible à terrasser. Il faut plutôt s’y adapter.
MYSTIQUE HIVERNALE
Dans les temps anciens, c’est-à-dire au siècle dernier, les Québécois fidèles en cela à leurs ancêtres subissaient l’hiver, mais le transformaient en saison de repli. Et ils respectaient la nature, sachant qu’elle se montrerait généreuse en été avec ses récoltes diverses. L’hiver, c’était un temps pour la réflexion, les rêves et l’espérance des ensoleillements avec des mois derlargesses agricoles. Hélas, la mystique hivernale a disparu.
L’hiver, les Québécois s’encabanaient. Sans internet. Cette saison rigoureuse s’oppose à l’esprit d’efficacité qui préside à notre façon de vivre dans l’instant, dans l’impatience et, avant tout, dans un refus de cette contrainte glacée.
Les responsables politiques sont incapables de gérer aussi les méfaits de l’hiver. Sur les routes, sur la santé publique, bref, sur la désorganisation de la société tout entière.
Que l’on meure isolé dans sa voiture sur nos autoroutes, à proximité des villes est un scandale. Il y a quelque chose de pourri au royaume du Québec. L’hiver et sa glaciation deviennent dès lors la métaphore de cette détérioration.