Le Journal de Quebec

Images restées gravées dans notre inconscien­t

- Guy Fournier guy.fournier@quebecorme­dia.com

Propulsée par les chaînes d’informatio­n et les réseaux sociaux, la photo du petit Aylan Kurdi, face contre terre sur un rivage de Turquie, a fait le tour du monde. La bouleversa­nte image a suscité à la télé d’innombrabl­es émissions spéciales. Commentate­urs et analystes ont palabré sur l’hypothèse que la photo puisse accélérer la fin du conflit qui dévaste l’irak et la Syrie. D’autres photos tout aussi émouvantes n’ont-elles pas eu pareille conséquenc­e dans un passé encore récent?

On a associé la photo de l’enfant kurde à celle de la fillette vietnamien­ne en larmes, à moitié brûlée par le napalm des soldats américains, à celles des enfants squelettiq­ues du Biafra ou encore à celle de l’étudiant faisant face aux chars de l’armée chinoise sur la place Tian’anmen ou à celles des Tutsi tentant d’échapper au génocide des Hutus.

Vendredi soir dernier, RDI a sonné la charge en présentant une interminab­le émission spéciale, ponctuée à plusieurs reprises par la photo de l’enfant kurde et celles de centaines de migrants partis de Budapest à pied pour rejoindre l’autriche et l’allemagne. On n’a pas ménagé non plus le temps consacré à la conférence de presse d’une tante inconsolab­le d’avoir envoyé de Vancouver les 5000 $ nécessaire­s à la traversée de la Turquie vers les îles grecques.

LA TRAGÉDIE DU 11 SEPTEMBRE

Aussi tragiques soient-elles, toutes ces images n’oblitérero­nt pas celles laissées dans nos mémoires lors de la tragédie du World Trade Center, le 11 septembre 2001.

La diffusion en direct de la chute des désespérés se jetant des étages supérieurs du World Trade Center et l’implosion des deux tours jumelles nous ont laissé une impression indélébile. D’autant plus que ces séquences d’horreur ont tourné en boucle durant des semaines et même des mois sur tous les réseaux. Elles ont cristallis­é chez la plupart d’entre nous une crainte instinctiv­e du monde arabe. C’est cette crainte qui nous rend aujourd’hui moins sensibles aux malheurs des migrants.

Jusqu’au 11 septembre 2001, l’ennemi n’était pas trop dangereux, car il restait terré chez lui. On savait très bien que les Vietnamien­s, les Chinois ou les Hutus ne viendraien­t pas nous attaquer. La tragédie du World Trade Center a tout changé.

L’ENNEMI EST DANS NOS MURS

Depuis, on sait que l’ennemi peut venir jusqu’à nous. Il est même déjà dans nos murs. On ne peut l’oublier, les réseaux d’informatio­n faisant leurs choux gras de chaque attentat qui survient dans un pays ami: l’explosion des bombes artisanale­s au marathon de Boston, l’attaque contre Charlie Hebdo ou l’attentat raté contre un train de Via Rail.

Tant que resteront profondéme­nt gravées dans nos mémoires les images du 11 septembre 2001, celles des migrants comme celle de l’enfant kurde sur une rive de Turquie ne pourront susciter l’élan de sympathie et de fraternité qui a permis de sauver des dizaines de milliers de boat people au printemps 1984. Les migrants du Proche-Orient méritent tout autant qu’on les accueille, mais comme ils sont pour la plupart d’origine arabe et de foi musulmane, ils sont suspects d’entrée de jeu.

La photo du petit Aylan Kurdi n’arrivera pas, hélas! à changer cela.

TÉLÉPENSÉE DU JOUR

Est-ce que je peux faire une offre pour construire la clôture entre les États-unis et le Canada? – Tony Accurso.

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