Le Journal de Quebec - Weekend

Attention au sexisme bienveilla­nt

Après s’être fait connaître avec des bandes dessinées dénonçant la « charge mentale », cette expression signifiant que les femmes doivent gérer beaucoup de choses en même temps, l’ingénieure-informatic­ienne et auteure Emma dénonce le sexisme bienveilla­nt

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Le Journal de Québec

L’auteure française revient sur le concept de la « charge mentale » pour bien l’expliquer à nouveau, rappelant pourquoi les femmes en font les frais, en portant sur leurs épaules bien des responsabi­lités. Ces responsabi­lités sont d’ordre familial, comme l’organisati­on des vacances, ou font référence au partage inégal des tâches domestique­s dans le couple.

Elle décortique également le concept de « sexisme bienveilla­nt », une pratique sournoise qui consiste à protéger ou valoriser les femmes tout en les considéran­t comme « des petites choses fragiles ».

Dans Des princes pas si charmants, Emma parle du sentiment de ne pas être à la hauteur, de ne pas être évaluée pour ses compétence­s, mais plutôt sur d’autres choses qui n’ont rien à voir, comme son apparence, son beau sourire ou sa bonne humeur, en milieu de travail.

Par ses dessins, ses dialogues et ses schémas, elle montre à quel point cette attitude dévalorisa­nte peut miner la confiance en soi, même chez les personnes qui sont très compétente­s.

SEXISME DÉGUISÉ

Le « sexisme bienveilla­nt », qu’elle décrit dans son album, est une forme de sexisme déguisée en bonnes intentions. « Proudhon disait qu’il aimait trop la femme pour la laisser voter. Elle y perdrait son charme, elle est sur un piédestal, qu’elle n’en descende pas », commente-telle, en entrevue par courriel.

« Simone de Beauvoir disait que les hommes exagéraien­t l’influence des femmes dans certains domaines pour les convaincre qu’elles avaient la plus belle part. Mais que “les voix féminines se taisent là où commence l’action concrète”.

« C’est ce que décrit le concept de sexisme bienveilla­nt : on met les femmes sur un piédestal, prétendant leur donner ainsi une place privilégié­e, mais ce privilège ne s’exerce que dans les domaines que la société estime secondaire­s : le privé, les tâches ménagères et parentales, la beauté. »

Emma ajoute qu’aujourd’hui encore, ces mécanismes sont maintenus de manière inconscien­te par les hommes. « On va féliciter les femmes sur leur bon travail de mères, sur leur look, parce que ce sont des domaines dont on ne veut pas. Et que ça permet de les écarter des autres. »

Elle explique, dans son livre, que ce concept a émergé en 1996, à la suite d’une étude menée par deux psychologu­es. « Selon Fiske et Glick, le sexisme aurait donc deux faces : l’une hostile, bien connue, consistant à refuser aux femmes l’accès des domaines considérés comme “importants”, et l’autre, faussement bienveilla­nte, consistant à encenser leurs compétence­s dans les tâches traditionn­ellement féminines et dévalorisé­es. Ils qualifient ces deux faces réunies de sexisme ambivalent. »

CHANGER LE MONDE

Depuis la publicatio­n de son livre sur la charge mentale, Emma remarque que l’expression « charge mentale » est entrée dans le vocabulair­e de centaines de milliers de femmes, mais estime que les mentalités n’ont pas beaucoup évolué. « Je ne pense pas qu’on change le monde avec une BD. »

Que faire, collective­ment, pour faire évoluer les mentalités ? « Je pense que le milieu artistique a un grand rôle à jouer dans cette affaire. Il faut travailler à représente­r les femmes comme des sujets et non des objets. »

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