Poilievre connaît-il le mot « culture » ?
Pierre Poilievre sera probablement le prochain premier ministre du Canada.
Aujourd’hui, l’avance du Parti conservateur dans les intentions de vote semble insurmontable, mais sa situation au Québec n’est pas aussi reluisante qu’ailleurs au pays. À moins d’un revirement, c’est le Bloc Québécois qui profitera le plus de l’impopularité de Justin Trudeau à la prochaine élection. C’est même possible que les conservateurs ne fassent guère mieux que leurs neuf sièges actuels. Voilà qui n’est pas de nature à disposer favorablement leur chef à l’égard du Québec.
Bien servi jusqu’ici par le gouvernement Trudeau qui a multiplié les millions aux divers organismes culturels, en particulier à Radio-Canada, à Téléfilm et au Fonds des médias, le monde de la culture semble ne pas trop s’en faire encore, qu’il soit anglophone ou francophone.
Pourtant, Poilievre, à part déclarer qu’il mettrait la clé sous la porte de la CBC pour transformer son siège social de Toronto en logements à prix modiques, n’a encore rien laissé voir de ses intentions en culture. C’est à se demander s’il connaît même le mot, car il ne parle jamais de culture. Les artistes ont donc toutes les raisons du monde de se méfier de lui et de son parti.
HARPER AVAIT DONNÉ LE TON
Dès son élection en 2006, Stephen Harper s’aliéna le monde de la culture, comparant les artistes à des enfants gâtés. « Les travailleurs canadiens, avait-il déclaré, n’ont rien en commun avec les artistes qui assistent à de riches galas tout en ne cessant pas de se plaindre des subventions qu’ils reçoivent du gouvernement. »
Le pauvre Harper ne se remit jamais de cette déclaration. Pas plus que son gouvernement ne réussit à faire oublier ses coupes dans les subsides accordés pour les tournées culturelles à l’étranger ou pour la promotion de nos « produits culturels ». C’est évidemment au Québec que les artistes furent les plus tapageurs et c’est au Québec aussi que le Parti conservateur resta le plus éclopé.
Dans les faits, le gouvernement Harper compensa ses coupes ponctuelles dès l’année suivante en augmentant le budget de la culture de 200 millions. Il voulut aussi les faire oublier en nommant le jeune James Moore au ministère du Patrimoine. Moore, un francophile décomplexé qui parle un français impeccable même s’il a toujours vécu en Colombie-Britannique, a eu beau multiplier ses voyages au Québec et ses apparitions à la télévision, le mauvais goût laissé aux artistes par Harper ne s’estompa jamais. C’est en vain que le premier ministre Harper rappelait qu’il était amateur de jazz, qu’il avait étudié le piano et qu’il avait même écrit quelques poèmes dans sa jeunesse. Rien n’y fit.
UNE RÉPUTATION QUI COLLE
La réputation de parti « anti-culture » qui colle aux conservateurs ne s’estompera pas si Pierre Poilievre continue d’ignorer la culture et de réduire son discours au « gros bon sens », au coût de la vie et à la crise du logement. Il faudra bien aussi qu’il explique ce qu’il entend faire de la CBC et des « restes » du diffuseur public lorsqu’il l’aura démantelé. Le réseau anglais a beau avoir des cotes d’écoute faméliques, les artistes anglophones ne laisseront pas Poilievre le fermer sans se révolter. La CBC est le principal gagne-pain de centaines d’artistes anglophones.
Pierre Poilievre pense peutêtre, comme jadis Stephen Harper, que la culture n’intéresse pas les Canadiens, mais il aurait intérêt à faire connaître au plus tôt son programme culturel s’il ne veut avoir sur le dos une industrie qui est le gagne-pain d’un million de travailleurs.