Les prêteurs alternatifs gagnent du terrain
L’effet combiné de l’explosion du taux directeur et du resserrement progressif des règles hypothécaires ces dernières années a eu pour conséquence d’accroître les parts de marché des prêteurs hypothécaires non traditionnels, ou dits alternatifs, tant au Québec qu’ailleurs au Canada.
C’est là une des conséquences méconnues de l’imposition par Ottawa, à partir de 2018, d’un nouveau système de qualification des emprunteurs, le fameux stress test, observe la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), le principal organisme responsable de l’habitation au pays.
« À mesure que l’on voit le volume de prêts hypothécaires ralentir dans les banques et coopératives de crédit traditionnelles, on voit les prêts hypothécaires augmenter rapidement chez les prêteurs non traditionnels. Une situation relativement nouvelle qui soulève certainement toutes sortes de questions », reconnaît l’économiste Tania Bourassa-Ochoa, spécialiste principale, Recherche sur le logement de la SCHL.
TAUX ÉLEVÉS
Ces entités de placement hypothécaire (SPH) sont des prêteurs hypothécaires offrant des prêts qui se caractérisent par de courts termes (6 à 24 mois) et des taux d’intérêt élevés. Elles englobent les sociétés de placement hypothécaire et d’autres prêteurs privés, de tout acabit.
Généralement, ces entités accordent des prêts aux emprunteurs qui ne sont pas admissibles auprès des prêteurs traditionnels. Car à la différence des grandes banques, celles-ci ne sont pas réglementées par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). Elles n’ont donc pas à soumettre leurs clients aux règles imposées du stress test, également connu sous le nom de test de résistance.
Si tous les prêteurs hypothécaires ont connu un ralentissement de leurs activités en raison de la hausse des taux directeurs ces dernières années, les prêteurs non traditionnels sont ceux qui ont connu le ralentissement le moins important et ont accru leur part de marché.
Selon la SCHL, qui en est encore à peaufiner sa connaissance de ce marché gris, leur part de marché global demeure marginale, aux environs de 5 %. Il en est tout autre, toutefois, du marché des prêts hypothécaires « nouvellement consentis ».
Dans ce segment précis, annonciateur de leur importance à venir, leur part s’établissait à 19,5 % au premier trimestre de 2023, en hausse de 4,6 points de pourcentage par rapport aux 14,9 % de 2021. Au printemps 2023, les actifs sous gestion des 25 plus grandes SPH au Canada avaient augmenté de 7,1 % d’une année à l’autre.
ATTENTION : DANGER
L’économiste Bourassa-Ochoa estime que ces entités ont leur place dans la société et jouent un rôle important en matière de liquidité en fournissant des fonds à des personnes ayant besoin immédiatement d’argent pour éviter de manquer à leurs engagements hypothécaires.
« Le recours à ces prêteurs peut être utile pour des besoins ponctuels comme une consolidation de dette, une perte de revenu en raison d’une maladie ou d’une mise à pied. Dans de tels cas, un prêt vise essentiellement à faciliter leur retour dans l’univers des prêts traditionnels. »
« Le hic, le danger, poursuit-elle, est lorsqu’un nombre croissant de clients, comme on semble l’observer actuellement, se mettent à recourir à ces prêteurs privés à taux d’intérêt élevés en permanence sans jamais parvenir à accéder ou à revenir à l’univers des prêts traditionnels. »
Pour l’heure, plus de 85 % des activités de ces prêteurs alternatifs se concentrent dans les territoires de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Leur présence tend toutefois à croître rapidement ailleurs, et particulièrement au Québec. Au troisième trimestre de 2021, seulement 4,1 % des activités des prêteurs alternatifs se déroulaient au Québec.
Or, selon les dernières données disponibles, 18 mois plus tard, soit après le 1er trimestre de 2023, la proportion du volume d’affaires de ces entreprises québécoises avait crû de 53 % pour s’établir à 6,3 %.
À lire lundi : La hausse des paiements hypothécaires profite-t-elle à Desjardins et aux banques ?