Le Journal de Montreal

Qui a peur du mot en «c »?

- JOSÉE LEGAULT Blogueuse au Journal Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique josee.legault @quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

Le premier ministre, François Legault, refuse de reconnaîtr­e l’existence de la crise du logement. Elle est pourtant amplement documentée. Elle sévit depuis des années à Montréal. Avec la pandémie, elle a atteint le reste du Québec.

Pour son gouverneme­nt, le mot en

« c » est néanmoins banni. Ses ministres parlent de « problèmes », mais surtout pas de « crise ». Or, l’éléphant est bel et bien dans la pièce. Refuser de le nommer ne change rien à sa présence.

Pour les locataires victimes de la crise – des électeurs eux aussi –, leur sentiment d’injustice en sort d’autant plus exacerbé. Même la Commission des droits de la personne et de la jeunesse s’inquiète ouvertemen­t des effets de la crise du logement.

Alors, d’où peut bien venir une telle crainte de nommer le réel ? Pourquoi ne pas prendre ce dossier à bras-lecorps ? Le premier ministre l’a déjà fait, entre autres, contre la maltraitan­ce des enfants en créant la commission Laurent. Nommer fait bouger les choses.

LONGUE LISTE

M. Legault jure néanmoins qu’il n’est pas « déconnecté » de la situation du logement. À preuve, il dit même avoir des amis dans la classe « très » moyenne. Alors, pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ?

Les autres gouverneme­nts n’ont rien fait, ou si peu. Très vrai. Ce qui, logiquemen­t, vu le dommage déjà accumulé, commandera­it de sa part des actions nettement plus costaudes.

Les organismes de défense des droits des locataires lui en font d’ailleurs la liste détaillée. Tout comme ils l’ont fait pendant des années sous les régimes précédents. Tous gouverneme­nts confondus, l’inaction sur ce front est en effet navrante.

Pourquoi le droit à un logement accessible, de qualité et abordable est-il aussi bafoué depuis des années, et l’est même de plus en plus ? La pandémie, parce que récente, est donc loin de tout expliquer.

De pénuries en hausses vertigineu­ses de loyers et de « rénovictio­ns » faites par des propriétai­res dans la plus parfaite impunité, pourquoi les gouverneme­nts ont-ils laissé les drames humains se multiplier ?

NORMALISER L’EXPLOITATI­ON

Pourquoi, ce faisant, ont-ils consenti à normaliser ce qui, dans les faits, est une forme éhontée d’exploitati­on financière des locataires évincés ? Difficile de comprendre sans poser tout d’abord la question qui tue.

Cette question est celle du manque troublant d’intérêt politique pour des réalités dont les gens de pouvoir sont épargnés par définition.

En juin 2019, Matthew Pearce, alors président de la Mission Old Brewery, se demandait déjà pourquoi la crise du logement se répétait d’année en année. Voici ce qu’il en écrivait à la veille d’une énième « crise » du 1er juillet, jour annuel de déménageme­nt au Québec :

« Est-ce parce que les décideurs n’ont pas l’habitude d’être mal logés et qu’ils n’apprécient pas la valeur réelle de ce que cela signifie pour les gens et leurs familles ? Est-ce parce qu’ils n’accordent pas suffisamme­nt de place à cette question dans leur liste de priorités ? » Poser la question…

Peut-être que de prononcer le mot « crise » aiderait aussi les décideurs à décider. Difficile de se battre contre un adversaire dont on dit ignorer l’existence. En cela, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

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Pourquoi le droit à un logement accessible, de qualité et abordable est-il bafoué depuis des années et l’est même de plus en plus ?

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