Qui a peur du mot en «c »?
Le premier ministre, François Legault, refuse de reconnaître l’existence de la crise du logement. Elle est pourtant amplement documentée. Elle sévit depuis des années à Montréal. Avec la pandémie, elle a atteint le reste du Québec.
Pour son gouvernement, le mot en
« c » est néanmoins banni. Ses ministres parlent de « problèmes », mais surtout pas de « crise ». Or, l’éléphant est bel et bien dans la pièce. Refuser de le nommer ne change rien à sa présence.
Pour les locataires victimes de la crise – des électeurs eux aussi –, leur sentiment d’injustice en sort d’autant plus exacerbé. Même la Commission des droits de la personne et de la jeunesse s’inquiète ouvertement des effets de la crise du logement.
Alors, d’où peut bien venir une telle crainte de nommer le réel ? Pourquoi ne pas prendre ce dossier à bras-lecorps ? Le premier ministre l’a déjà fait, entre autres, contre la maltraitance des enfants en créant la commission Laurent. Nommer fait bouger les choses.
LONGUE LISTE
M. Legault jure néanmoins qu’il n’est pas « déconnecté » de la situation du logement. À preuve, il dit même avoir des amis dans la classe « très » moyenne. Alors, pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ?
Les autres gouvernements n’ont rien fait, ou si peu. Très vrai. Ce qui, logiquement, vu le dommage déjà accumulé, commanderait de sa part des actions nettement plus costaudes.
Les organismes de défense des droits des locataires lui en font d’ailleurs la liste détaillée. Tout comme ils l’ont fait pendant des années sous les régimes précédents. Tous gouvernements confondus, l’inaction sur ce front est en effet navrante.
Pourquoi le droit à un logement accessible, de qualité et abordable est-il aussi bafoué depuis des années, et l’est même de plus en plus ? La pandémie, parce que récente, est donc loin de tout expliquer.
De pénuries en hausses vertigineuses de loyers et de « rénovictions » faites par des propriétaires dans la plus parfaite impunité, pourquoi les gouvernements ont-ils laissé les drames humains se multiplier ?
NORMALISER L’EXPLOITATION
Pourquoi, ce faisant, ont-ils consenti à normaliser ce qui, dans les faits, est une forme éhontée d’exploitation financière des locataires évincés ? Difficile de comprendre sans poser tout d’abord la question qui tue.
Cette question est celle du manque troublant d’intérêt politique pour des réalités dont les gens de pouvoir sont épargnés par définition.
En juin 2019, Matthew Pearce, alors président de la Mission Old Brewery, se demandait déjà pourquoi la crise du logement se répétait d’année en année. Voici ce qu’il en écrivait à la veille d’une énième « crise » du 1er juillet, jour annuel de déménagement au Québec :
« Est-ce parce que les décideurs n’ont pas l’habitude d’être mal logés et qu’ils n’apprécient pas la valeur réelle de ce que cela signifie pour les gens et leurs familles ? Est-ce parce qu’ils n’accordent pas suffisamment de place à cette question dans leur liste de priorités ? » Poser la question…
Peut-être que de prononcer le mot « crise » aiderait aussi les décideurs à décider. Difficile de se battre contre un adversaire dont on dit ignorer l’existence. En cela, il n’est jamais trop tard pour bien faire.