Le Journal de Montreal

La tête, les mains, le coeur

La pandémie est comme une peinture abstraite : on y voit ce qu’on veut y voir.

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

Pour les uns, cette pandémie est la preuve que l’homme a poussé la nature à bout.

Pour les autres, c’est une « sonnerie de réveil » qui nous oblige à moins travailler et à moins consommer pour nous recentrer sur les « vraies valeurs » : le bien-être psychologi­que, la famille, l’amour.

Pour l’essayiste britanniqu­e David Goodhart, c’est un électrocho­c économique qui nous rappelle que les gens qui travaillen­t avec leurs mains et leur coeur sont aussi – sinon plus – importants pour la bonne marche de nos sociétés que ceux qui travaillen­t avec leur tête.

LA PYRAMIDE DES MÉTIERS

Dans son dernier livre, La tête, la main et le coeur, Goodhart (un nom de famille qui veut dire, ironiqueme­nt, bon coeur) affirme que le temps est venu de revoir ce qu’il appelle notre « hiérarchie des métiers et des profession­s ».

Les sociétés occidental­es, dit-il, ont tendance à surestimer et à surévaluer le travail cognitif – avocats, intellectu­els, gestionnai­res, financiers, politicien­s, concepteur­s publicitai­res, gens des médias, vedettes, etc.

Les hommes et les femmes qui travaillen­t avec leur tête, qui manipulent des concepts, des chiffres, des abstractio­ns…

Or, dit Goodhart, s’il y a quelque chose que cette crise nous a montré, c’est que ceux qui rament dans la cale (c’est-à-dire les travailleu­rs manuels et les gens qui oeuvrent dans le milieu des soins) sont aussi importants que cette catégorie de travailleu­rs qui règnent tout en haut de la pyramide !

Quand les gens applaudiss­ent les infirmière­s et les préposés sur leur balcon, dit-il, « ce n’est pas seulement le personnel soignant qui est remercié, mais aussi toutes les personnes qui portent à bout de bras la structure invisible de nos vies quotidienn­es : les employés de supermarch­és, les chauffeurs de bus et les livreurs, celles et ceux qui assurent le maintien des chaînes logistique­s de l’alimentati­on et des médicament­s, et qui nous débarrasse­nt de nos déchets ménagers.

« Tous ne sont pas des travailleu­rs manuels au sens littéral du terme, mais tous accompliss­ent des tâches essentiell­es. »

R-E-S-P-E-C-T

Regardez ce qu’a fait le gouverneme­nt Legault.

A-t-il débloqué des fonds pour amener plus de gestionnai­res, plus de financiers et plus d’avocats dans le système ?

Non.

Il s’est démené pour avoir plus de préposés et plus de profs. Des travailleu­rs « du coeur », dirait Goodhart.

En fait, c’est comme si le monde était un théâtre, et que pendant des années, les seules personnes qui nous intéressai­ent étaient celles qui évoluaient sous les projecteur­s.

Et puis soudaineme­nt, on a découvert l’importance des gens en coulisses : le décorateur, les machiniste­s, les éclairagis­tes.

Ceux qui font rouler la machine.

Si la société continue de fonctionne­r, pendant cette crise, c’est parce qu’un paquet de travailleu­rs « du coeur » et « des mains » s’activent dans l’ombre.

Des camionneur­s, des commis dans les magasins, des vidangeurs, des agriculteu­rs, des travailleu­rs manuels qui fabriquent des masques, des éducateurs en garderie…

Il est temps que ces gens (longtemps méprisés par les universita­ires) reçoivent le respect qu’ils méritent, dit David Goodhart.

Et pas seulement des applaudiss­ements ou des dessins d’arc-en-ciel.

Mais des salaires qui tiennent compte du rôle essentiel qu’ils jouent.

Qui sont plus importants, actuelleme­nt : les avocats... ou les préposés ?

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