L’héritage empoisonné
Le gâchis est indéniable, mais était-il aussi évitable qu’on semble le croire ? La réponse n’est pas facile. Après plus de deux semaines, au lieu de s’apaiser, la crise des blocages ferroviaires s’envenime. Le démantèlement par les forces policières du barrage à Tyendinaga, en Ontario, a déclenché l’apparition spontanée d’autres barricades à travers le pays.
Ce mouvement s’inscrit en solidarité avec la partie de la nation Wet’suwet’en opposée au projet de gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique. Il répond à la volte-face du premier ministre Justin Trudeau qui, après avoir prôné un dialogue pacifique et patient, exigeait vendredi la fin des barricades.
Disparate, le mouvement comprend des Autochtones, des étudiants, des environnementalistes, etc. L’économie en souffre. Les conservateurs en font leurs choux gras partisans. Des entreprises craignent une récession. Des premiers ministres provinciaux n’en peuvent plus.
HAUTE PRESSION
Sous haute pression, Justin Trudeau peine à surnager. On le traite de mou et d’incompétent. Incapable jusqu’ici de dénouer la crise, le grand apôtre de la réconciliation avec les Premières Nations est cerné sur tous les fronts. Comme gouvernement minoritaire, c’est un luxe que les libéraux ne peuvent pas se payer.
Paradoxalement, les communautés autochtones elles-mêmes, qu’elles soient en solidarité ou non avec le mouvement actuel, devraient s’en inquiéter. Si la crise perdure et que Justin Trudeau en sort affaibli politiquement, elles seraient les premières à souffrir d’un éventuel retour au pouvoir des conservateurs, dont la ligne dure contre les opposants autochtones est la marque de commerce.
D’où le vrai gâchis. Celui dont Justin Trudeau a hérité de ses prédécesseurs. Dans ce pays où les nations autochtones n’ont de « nation » que le nom, sans autonomie gouvernementale réelle, celles que la Loi sur les Indiens traite en « pupilles » de l’État fédéral sont condamnées à mener des combats épisodiques, eux-mêmes condamnés à finir en queue de poisson. Qu’on pense aux crises d’Oka, d’Ipperwash ou du mouvement Idle No More.
PARTIE REMISE
Comme je l’expliquais la semaine dernière, le Canada souffre de deux immenses blocages politiques. Ses dirigeants présents et passés, à l’exception de Brian Mulroney, en sont les principaux responsables. Le premier blocage est face aux Premières Nations. Le second est face au Québec, dont la signature n’apparaît toujours pas sur la Constitution canadienne de 1982.
Dans un tel contexte, Justin Trudeau, aussi inapte soit-il en situation de crise, se trouve en même temps piégé d’office. Devant des nations autochtones divisées – et dont les interlocuteurs « officiels », les conseils de bande, sont le produit gênant du colonialisme inhérent à la Loi sur les Indiens –, à qui peut-il vraiment parler ?
Avec qui peut-il vraiment négocier ? Certains proposent l’idée d’une table de médiation. Sûrement, mais encore, où puiserait-elle à son tour sa propre légitimité politique ? Méchant casse-tête.
Le fait est qu’à chaque crise autochtone, le Canada paie le prix pour son refus de moderniser en profondeur les pouvoirs et la gouvernance chez les Premières Nations. Les forces policières, injonctions en mains, pourront toujours démanteler des barricades, mais ce ne sera que partie remise.