Le Journal de Montreal

Quadruple pontage pour Guy Lafleur

Un grand coeur fatigué

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@ quebecorme­dia.com

Ce soir-là, Tony avait vu Lafleur marquer le but qui sauvait le Canadien de l’éliminatio­n contre les Bruins de 1979. Moi, j’étais sur la passerelle du Forum en train de réserver une chambre d’hôtel pour la finale entre les Bruins et les Rangers. Le Canadien perdait. C’était fini.

Et puis, sur un grand coup de son coeur de lion, Lafleur avait déjoué Gilles Gilbert et envoyé les deux équipes en prolongati­on.

C’était l’histoire de Tony Marinaro. Puis, Marc Ramsay a appelé. Et je lui ai appris la nouvelle. Ramsay est un coriace. On ne bâtit pas des champions du monde avec des prières et des lampions. Mais sa voix a cassé. « Pas Guy Lafleur ? Pas lui ? » Oui, Guy Lafleur. Quadruple pontage au CHUM ce matin. Aujourd’hui, les cardiologu­es et les chirurgien­s cardiaques sont tellement bons, qu’ils reconditio­nnent des coeurs qui ont trop vibré pour leur équipe, qui ont trop battu pour leur amour, qui ont eu trop de peine pour leur enfant.

Et qui ont été trop enfumés par la cigarette et serrés par le stress…

C’est 45 ans de ma vie qui défilent. Et comme vous, à un moment ou un autre, Guy Lafleur en a fait partie.

IL N’ÉTAIT DONC PAS IMMORTEL

Mon tout premier reportage sur la couverture du Canadien a été une rencontre avec Guy Lafleur. Il s’était blessé au petit doigt et était resté à Montréal avec Wayne Thomas, un gardien auxiliaire, pour s’entraîner au Forum.

Les choses étaient simples à l’époque. J’étais arrivé avec mes patins et je m’étais installé dans le vestiaire avec Lafleur et le photograph­e. Grand coeur, il m’avait prêté un bâton de Steve Shutt et j’étais allé m’entraîner avec lui et Thomas. Imaginez, le meilleur joueur de la Ligue nationale et un débutant à son premier jour sur le beat du CH.

Il avait été généreux. Il m’avait expliqué comment me servir des baies vitrées comme d’un miroir, il avait évité soigneusem­ent de me tourner complèteme­nt en ridicule. Il patinait comme un vent qui se lève un soir d’hiver. Les lames de ses patins creusaient la glace.

Il avait le coeur sur la main. Je ne l’ai jamais oublié.

Et ce coeur fatigué qu’on va retaper ce matin, il l’a toujours eu sur la main…

TELLEMENT GÉNÉREUX

On ne croyait pas qu’il vieillissa­it. Pas de graisse. Des paluches qui faisaient disparaîtr­e votre main quand on serrait la sienne. Des muscles durs même s’il ne fréquentai­t à peu près jamais les gymnases. Guy Lafleur ne pouvait pas être malade.

Vous dire comment il a été généreux est impossible parce qu’il faudrait trop aller dans sa vie privée.

Tous ceux qui côtoient la maladie mentale dans leur famille ou chez des proches me comprendro­nt. Je veux éviter de culpabilis­er qui que ce soit. Éviter que quelqu’un se sente mal parce que Flower se retrouve en salle de chirurgie ce matin. Ce n’est la faute de personne. Ce sont des conditions qui provoquent la maladie. À commencer par la cigarette.

Mais j’ai tourné un long métrage documentai­re avec Jean-Claude Lord

et Jacques Lima sur les conséquenc­es de la maladie mentale dans une famille. Et Lafleur avait accepté de témoigner, de raconter l’enfer qu’il vivait avec son fils Mark, porteur du syndrome de La Tourette.

C’est public, tout ça a fait les unes des journaux. Partout en Amérique du Nord. Jamais Lafleur n’a abandonné. Que son fils se retrouve en prison ou en institutio­n. Lafleur se tenait droit à côté de lui. Et tenait le bras de Lise qui souffrait le martyre. Et les manchettes disaient toujours : le fils de Guy Lafleur !

Comment pensez-vous que Lafleur et Lise, sa femme, vivaient les événements ? Son coeur glorieux de père saignait.

SE DONNER AUX AUTRES

Guy Lafleur n’a jamais eu la prétention d’être un saint. Au contraire, il a pris un coup, il a connu des entêtement­s qui lui ont coûté cher, il a gagné et dépensé de l’argent. Il a toujours été imparfait et l’a pleinement assumé. C’est une des raisons qui expliquent que les fans l’aient tant aimé. Et l’aiment toujours autant après toutes ces années.

Parce que le coeur passionné de Lafleur ne supportait pas le mensonge. Quand la direction du Canadien méprisait les joueurs, les anciens ou les fans, Lafleur envoyait valser les potentats. Ça lui a coûté des millions.

Mais s’il arrêtait dans un snack-bar à La Tuque en se rendant à la pêche, il posait pour une photo ou signait un autographe pour tous ceux qui le lui demandaien­t. En s’appliquant pour que sa signature soit bien lisible.

« Je veux que le petit gars soit fier de montrer ma signature et que tout le monde puisse la lire dans la cour d’école », m’avait-il expliqué.

HÂTE DE LE RETROUVER

Guy Lafleur a passé la nuit à l’hôpital. Ce matin, une équipe de chirurgien­s vont trancher dans sa chair. À un moment donné, le chirurgien va tenir son coeur dans sa main et rediriger le flux sanguin vers une machine. Pour la première fois de sa vie, le coeur de Lafleur ne battra pas pour le hockey, pour le Canadien, pour les siens, pour sa famille, pour ses fans.

Puis, ce coeur fatigué dont on aura réparé la tuyauterie va repartir comme par miracle.

Et dans quelques semaines, on va revoir Guy Lafleur serrer des mains et sourire pour une photo.

Le coeur débordant encore et toujours.

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PHOTO D’ARCHIVES du Canadien de Réjean Le premier reportage sur la couverture Lafleur en mars 1975. Le Tremblay a été une rencontre avec Guy CH avait même invité le journalist­e à chausser joueur vedette du une séance d’entraîneme­nt sur la glace. les patins pour
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 ?? PHOTO D’ARCHIVES ?? Guy Lafleur s’est toujours fait un point d’honneur d’être généreux avec ses fans. Il est photograph­ié en compagnie d’un partisan du Canadien, en janvier 2018, lors de l’inaugurati­on de la 10e patinoire communauta­ire multisport­s réfrigérée de la Fondation des Canadiens pour l’enfance à Trois-Rivières.
PHOTO D’ARCHIVES Guy Lafleur s’est toujours fait un point d’honneur d’être généreux avec ses fans. Il est photograph­ié en compagnie d’un partisan du Canadien, en janvier 2018, lors de l’inaugurati­on de la 10e patinoire communauta­ire multisport­s réfrigérée de la Fondation des Canadiens pour l’enfance à Trois-Rivières.

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