Le Journal de Montreal

Cégeps : pour la philo et le français

Certains mots allument toutes les lumières rouges de mon tableau de bord intellectu­el.

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

L’utilitaris­me et l’accent sur le « vécu » rapetissen­t et appauvriss­ent l’esprit des jeunes.

L’un d’eux est « modernisat­ion », surtout dans le domaine éducatif.

Je ne prône pas une école figée, mais au Québec, la « modernisat­ion » éducative a souvent été synonyme de dilution et de nivellemen­t vers le bas.

PRUDENCE

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, se dit ouvert à une « modernisat­ion » de la formation générale au cégep.

Il se dit contre une « diminution » ou davantage de cours optionnels. Excellent.

Mais il se dit ouvert à ce qu’on regarde comment rendre cette formation plus « attrayante ».

C’est là qu’il faut être prudent, car le passé annonce souvent l’avenir.

Au Québec, quand on demande aux étudiants ou aux « intervenan­ts » du milieu ce qu’ils entendent par « modernisat­ion » ou par une formation plus « attrayante », on connaît d’avance la réponse.

D’une part, on réclamera une formation « plus-utile-pour-la-vraie-vieet-le-marché-du-travail ».

D’autre part, on réclamera la suppressio­n ou la dilution des matières avec lesquelles les jeunes ont des difficulté­s au nom du « collons-à-leurvécu-pour-capter-leur-intérêt ».

Cette double réponse est… doublement fausse.

L’utilitaris­me et l’accent sur le « vécu » rapetissen­t et appauvriss­ent l’esprit des jeunes.

Oui, l’une des finalités de l’éducation est de préparer au marché du travail.

Mais c’est loin d’être la seule, et pas la principale pour les collégiens qui se dirigeront ensuite à l’université.

Il faut former plus que des travailleu­rs. Il faut former des citoyens.

De toute façon, finira-t-on par comprendre qu’il est illusoire, sauf en termes très généraux, de prédire quels seront les besoins du marché du travail dans 20 ans ?

Il ne faut pas outiller les jeunes en « compétence­s » vite dépassées. Il faut former des têtes polyvalent­es capables d’aller chercher ce qu’elles estimeront nécessaire.

Les jeunes, eux, voudront la suppressio­n de ce qu’ils trouvent ardu : la lecture, l’écriture, l’abstractio­n, le raisonneme­nt.

Au nom d’un pseudo-réalisme, les dirigeants du réseau pousseront souvent dans le même sens.

Avec cette double perspectiv­e utilitaris­te et simplifica­trice, quels seront inévitable­ment les deux cours les plus menacés dans la formation générale collégiale ?

Ce seront les cours de philosophi­e et de français.

Beaucoup de jeunes, obsédés à 18 ans par la soif de consommer, trouvent inutile de se confronter aux grandes questions de l’existence et d’apprendre à raisonner.

Ils ont tragiqueme­nt tort.

Des cours de philosophi­e, il n’en faudrait pas moins, mais plus.

Dans les cours de français, la lecture de romans classiques est ardue pour des jeunes habitués aux textes des médias sociaux et qui vivent dans un univers d’images.

La « modernisat­ion », c’est de leur faire lire des textes courts, contempora­ins, souvent mineurs, parfois insignifia­nts.

RUPTURE

On se trompe en pensant que le jeune, quand il entre à l’école, doit retrouver un monde familier.

Il faut au contraire qu’il ait le sentiment de rompre avec son quotidien et d’entrer dans une contrée excitante et mystérieus­e.

Il ne faut pas abaisser le système à son niveau. Il faut que le système le tire vers le haut.

Difficile pour lui ? Oui, comme la vie qui l’attend.

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Jean-François Roberge
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