Le Journal de Montreal

L’ennui sous le sapin

- MADELEINE PILOTE-CÔTÉ

Noël arrive à grands pas. J’ai une suggestion de cadeau à vous faire. Pour vos enfants, pour vos ados. Un cadeau essentiel, voire urgent.

Un article que vous ne trouverez sur aucune liste, j’en suis certaine. Pourtant, c’est LE cadeau à offrir. Une belle grosse boîte bien emballée, et dedans... RIEN. Rien du tout, de l’ennui, de l’espace.

Exposer les gens au vide, au rien, pour qu’ils puissent eux-mêmes le remplir avec autre chose que du matériel, des activités ou des projets.

ET SI JE MANQUAIS QUELQUE CHOSE ?

Je ne savais pas. C’est Facebook qui me l’a appris : je suis connectée quatre heures par jour en moyenne, révèlent mes statistiqu­es personnell­es. Je veux tout savoir, je veux être là par extension, partager les bonheurs et les peines des autres à grands coups de « j’aime ».

Et ma vie intérieure dans tout ça ? On ne la trouvera jamais sur Facebook, car c’est sur mon mur intime qu’elle est publiée et pour que j’y aie accès, c’est à moi-même que je dois être connectée.

Cinquante-six pour cent des utilisateu­rs de réseaux sociaux souffrent du FOMO (Fear of Missing Out). Peur de manquer quelque chose, panique associée au fait de ne pas être dans le coup. Celle qui nous oblige à toujours avoir notre téléphone greffé à la main pour savoir ce qui se passe, partout, tout le temps.

VIVEMENT LE NIAISAGE !

Ma mère m’a légué une chose importante. Combien de fois, quand j’étais petite, elle planifiait des plages à l’agenda, où l’activité principale était : cultiver l’ennui.

Quand je lui disais : « Maman, c’est plate, je n’ai rien à faire ! Je m’ennuie... », savez-vous ce qu’elle me répondait ? « C’est une excellente nouvelle ! »

Il me fallait apprendre à ne rien faire. Pas de télé, pas d’ordi, pas d’amis, pas de cours, pas de jeux. Juste moi-même et mon imaginatio­n. Et vous voulez savoir ce que cela a donné ?

J’ai appris à me mettre dans la peau des autres en observant les passants.

J’ai appris à rêver les yeux ouverts. À nettoyer les lunettes de mon avenir pour le préparer, le voir bien clairement.

J’ai appris à ne pas me fuir, à aimer ma compagnie.

J’ai surtout appris que lorsqu’on s’ennuie, l’esprit ne se met pas en veille. Non, il redémarre les flots de pensées qui ont besoin de plus d’espace que la carte mémoire restreinte sur laquelle elles sont habituelle­ment confinées.

À trop vouloir fuir le vide, on s’éloigne de l’expérience essentiell­e de la plénitude.

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