Ils veulent les reprogrammer pour des centaines de dollars
Au moins cinq organisations ou individus au Québec offrent des thérapies pour convertir les homosexuels
Cinq organisations ou individus ont proposé à notre Bureau d’enquête des thérapies de réorientation sexuelle. Les voici. Parcours Canada (Journey Canada) QUI SONT-ILS ? Anciennement connu sous le nom Torrents de vie Canada, ou Living Waters Canada, cet organisme pancanadien compte des bureaux dans six provinces, dont le Québec. Dans son rapport annuel de 2017, il se targue d’avoir épaulé plus de 9000 personnes dans 42 villes. NOTRE DÉMARCHE
Les services de Parcours Canada nous ont été recommandés par l’organisme américain Desert Stream, qui propose ouvertement des thérapies de conversion. Sur son blogue personnel, le fondateur de Desert Stream, Andrew Cominsky, dit être un bon ami de Toni DolfoSmith, le président de Parcours Canada. Bien qu’il propose des ateliers pour gens de tous les âges (dont des jeunes de 14 à 24 ans), le site web de Parcours Canada ne mentionne pas explicitement la conversion, parlant plutôt de guérison sexuelle ou relationnelle. Mais un extrait audio de 2012, attribué à leur coordonnatrice québécoise Kathryn Alarie, est plus explicite. « Torrent de vie est un ministère qui a été créé pour aider les personnes qui luttent avec [une attirance homosexuelle], ditelle à son public. L’intention de Dieu pour notre sexualité, c’est la complémentarité, c’est l’hétérosexualité, c’est un homme et une femme. » √ Kathryn Alarie a répondu au courriel de notre infiltrateur avec des informations concernant un atelier de 18 semaines offert à Montréal en janvier, au coût de 495 $. Un programme de six semaines axé sur la « guérison profonde » était aussi offert.
LEUR RÉPONSE
Contactée par notre Bureau d’enquête, Kathryn Alarie nous a adressés à un représentant de Parcours Canada basé à Calgary. Graeme Lauber a nié s’adonner à la thérapie de conversion, prétendant plutôt offrir un choix à certaines personnes qui souhaitent vivre leur homosexualité « autrement ». Il a expliqué que son organisme offre du soutien à des gens aux prises avec toutes sortes de problèmes, dont certains qui – comme lui-même – luttent contre une attirance homosexuelle. Quant au programme pour adolescents annoncé sur leur site, il nous a dit ne pas en avoir entendu parler.
Isaiah 40 Foundation QUI SONT-ILS ?
Organisme de bienfaisance enregistré auprès de Revenu Canada, Isaiah 40 Foundation est montrée du doigt dans le rapport d’Alliance arc-en-ciel. Sur son site web, l’organisme anglican – qui compte une succursale à Notre-Dame-de-Grâce et une autre à Colchester, au Vermont – se vante d’avoir à son emploi 10 conseillers, dont des psychologues et une massothérapeute, qui sont là pour aider les gens à se « transformer à l’aide de Dieu ». Le site ne parle pas explicitement de thérapie de conversion, mais nos recherches révèlent que le président de l’organisme s’autoproclame « ex-gai ». Il était annoncé en 2017 comme le présentateur d’une formation intitulée « Comment le Christ peut guérir les homosexuels ».
NOTRE DÉMARCHE
Notre infiltrateur a obtenu deux rendez-vous de 100 $ chacun avec une conseillère pastorale de l’Isaiah 40 Foundation. Lors de ces séances, elle lui a dit que son homosexualité découlait d’une « crise intérieure » et qu’avec une thérapie, il parviendrait potentiellement à changer son orientation sexuelle. « Est-ce que je me bats corps et âme pour être guéri et redevenir hétéro, ou est-ce que j’essaie juste d’accepter... », demande notre infiltrateur. « Non, l’interrompt la thérapeute. Si tu es ici pour dire que ton désir c’est d’être hétéro, tu dois faire ça, sinon tu vas être plus mélangé. »
LEUR RÉPONSE
Le directeur de l’Isaiah Foundation, Alex Cameron, nous a dit qu’il ne pouvait pas commenter l’expérience de Philippe, car les séances de thérapies sont confidentielles. Il a cependant nié s’adonner à ce genre de pratique. « Notre organisme n’a jamais été un ministère de thérapie de conversion, et aucun de nos thérapeutes n’est formé dans ce domaine », a-t-il écrit au Bureau d’enquête dans un courriel.
Ta vie ton choix QUI SONT-ILS ?
Ta vie ton choix (TVTC) est une corporation québécoise dirigée par l’ex-journaliste Michel Lizotte. Selon le Registre des entreprises du Québec, le mandat de TVTC est « l’aide aux personnes luttant contre des attraits envers le même sexe, aide aux parents ayant un enfant souffrant d’un trouble de l’identité sexuelle ». TVTC se targue d’avoir accès à un éventail de thérapeutes – psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes –, au service de leur clientèle. Sur son site web, l’organisme prétend que le taux de succès de la thérapie de conversion est de 35 % à 40 %.
NOTRE DÉMARCHE
Philippe n’a pas obtenu de rencontre avec les représentants, qui l’ont plutôt orienté vers les ressources publiées sur leur site web. Nous avons cependant rencontré un ex-administrateur du groupe, Laurent M. Leclerc, qui a confirmé que TVTC coordonne des thérapies de conversion pour des personnes – dont des mineurs – qui cherchent à se défaire de leurs attraits homosexuels. Ayant lui-même lutté contre son homosexualité pendant des décennies, Laurent M. Leclerc concède que sa propre thérapie de conversion s’est avérée un échec. Il croit cependant que TVTC fournit un service nécessaire. « Je pense que le fait d’offrir une option à des gens, c’est une bonne chose. »
LEUR RÉPONSE
Michel Lizotte n’a pas voulu nous accorder d’entrevue.
George-Marie Craan (dans les locaux de l’église Nouvelle Vie) QUI SONT-ILS ?
L’église Nouvelle Vie est une méga église évangélique à Longueuil. Elle compte plus de 4000 paroissiens dans la région et dit mener des activités dans près d’une dizaine de pays.
NOTRE DÉMARCHE
Le site web de Nouvelle Vie ne parle pas de thérapie de conversion (ni d’homosexualité, en fait), mais les services de cette église nous ont été recommandés par une représentante de Parcours Canada (voir
page ci-contre). Notre infiltrateur a obtenu deux rendez-vous à 100 $ chacun avec la psychothérapeute certifiée George-Marie Craan, dont le bureau se trouve dans les locaux de cette église à Longueuil. A priori, celle-ci l’avertit qu’elle est membre de deux ordres professionnels qui l’empêchent de lui dire ce qu’il « veut entendre. » Avant la fin de la deuxième séance, cependant, elle se vante d’avoir aidé une cliente qui était « aux femmes » et déclare que, puisque Philippe a des valeurs chrétiennes et qu’il a déjà fréquenté une femme, il est possible pour lui de « désapprendre » son attirance pour les hommes et de se « reprogrammer ». « Je pourrais faire ça, me lever et me dire : je suis hétéro ? C’est comme ça que ça fonctionne ? » lui demande Philippe. La question suscite une réaction enthousiaste. « Voilà, oui, tu peux, c’est ça, s’exclame la psychothérapeute. Je suis un homme, et merci, Seigneur, parce que tu vas me donner une femme. »
LEUR RÉPONSE
Nancy Collette, l’avocate de l’église Nouvelle Vie, n’a pas voulu aborder la position de l’église quant à l’homosexualité, mais a catégoriquement nié offrir des thérapies de conversion. « On n’offre aucun programme à cet effet-là, il n’y a aucun propos public qui sont faits à savoir qu’on fait des thérapies de conversion, il n’y a aucune publicité non plus, a-t-elle affirmé. Nous, on est une église, donc, ce qu’on fait, c’est qu’on accompagne les gens dans une démarche spirituelle chrétienne. »
L’avocate a aussi affirmé que la thérapeute avait communiqué avec son ordre professionnel, qui lui avait assuré qu’elle n’avait rien à se reprocher dans sa démarche auprès de Philippe.
Finalement, elle a soutenu un jour plus tard que la psychothérapeute avait rencontré notre infiltrateur dans le cadre de sa pratique privée, et non dans le cadre des activités de l’église. À preuve, selon elle, si les services de la psychothérapeute avaient été offerts par l’église, ils auraient été gratuits, alors que dans ce cas-ci, Philippe a payé 200 $. Notons que les deux rencontres ont eu lieu dans les locaux de Nouvelle Vie.