Le Journal de Montreal

MERCI JEAN-PIERRE !

- MARC CANTIN Collaborat­ion spéciale

Gilles Villeneuve savait comment se concentrer avant un départ, en visionnant la piste, les yeux fermés et les doigts entrecrois­és, sur la ligne de départ.

À Montréal, à l’occasion du premier Grand Prix du Canada sur l’Île-Notre-Dame en octobre 1978, je passais devant sa voiture et vit son index droit se lever en salut, sans qu’il n’ouvre les yeux ou ne bouge la tête. Pas mal pour mon ego !

On se rappelle Jean-Pierre Jarier, dit « Jumper » par les anglophone­s et « Godasse de plomb » par les Français.

Ce valeureux précurseur de l’école de pilotage Jean « à-fond… à-fond » Alesi dominait la course et refusait de lever le pied pour assurer sa victoire, jusqu’à l’inévitable bris du moteur Ford Cosworth probableme­nt déjà bien passé sa date de péremption avant le départ.

Pauvre Jarier, dont le malheur fit le bonheur des milliers de spectateur­s et millions d’amateurs partout en donnant la tête de la course et la victoire éventuelle à Gilles, sa première en F1.

LA PANNE D’ESSENCE REDOUTÉE

Dans la tour de contrôle, tout brassait lors des derniers moments de la course. La distance de 71 tours mettait plusieurs voitures anglaises en danger de panne d’essence, même si le règlement limitait le temps de course à deux heures.

Roger Peart (directeur de la course), le chef commissair­e délégué par la FIA et moi-même (directeur adjoint de la course) calculions si les voitures se rendraient au début d’un 71e tour ou seulement au 70e dans les deux heures permises.

Excéder le temps permis et voir des voitures en panne d’essence lors d’un 71e tour inutile aurait compliqué les résultats et possibleme­nt enlevé la victoire à Gilles s’il tombait lui aussi en panne sèche au fil d’un 71e tour maudit et inutile. La manif aurait été belle – du genre de celle de Maurice Richard à l’époque.

De plus, il faisait de plus en plus sombre, et on espérait ne pas avoir à arrêter la course pour cause de noirceur – un autre drame que la nature régla en bien en permettant le 71e tour fatidique.

Pas surprenant que la course prenne place de nos jours près de la plus longue journée de l’année, le 21 juin.

LA FAMEUSE BOUTEILLE DE BIÈRE

Un mini drame a enfin mis un point final sur la course.

Le podium, monté sur une roulotte « Dickie Moore » fut la scène d’un échange énergique entre le représenta­nt du champagne Moët et Chandon qui avait un contrat en bonne et due forme avec Bernie qui stipulait que le trio gagnant devait gerber la foule du podium, et des représenta­nts de Labatt, qui voulait faire de même avec une bouteille géante de Labatt 50.

Le pauvre monsieur français fut éjecté manu militari du toit, Gilles échappa presque le Jeroboam de Labatt 50 trop lourd, alors que la sécurité enlevait des gens du toit surchargé avant que le tout ne s’effondre. De la grande comédie à l’italienne.

Quelle journée ! Gilles gagne sa première, on se chamaille sur le podium, on passe proche de devoir arrêter la course inutilemen­t, et je retrouve plus tard le bon vieux André Gervais, alors responsabl­e du montage de la piste, au bout de son rouleau et presque en larmes, près de son bureau et loin de la foule et du brouhaha.

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PHOTO D’ARCHIVES

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