Mamma Mafia
Deux matriarches sont décédées la semaine dernière. Elles ne pouvaient être plus différentes l’une de l’autre.
D’une part, madame Jacqueline Desmarais, veuve de Paul et mécène magnifique. De l’autre, Liberta Manno, mère de l’ancien parrain de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto. C’est elle qui m’intéresse aujourd’hui.
IMAGE MENTALE
Je l’imagine en train de « rouler » des gnocchis avec l’index en train d’imaginer la meilleure façon de retirer 5 M$ de comptes suisses sans attirer l’attention de la police. (Ça n’a pas fonctionné, elle a fait six mois de prison.) Ou encore, en train de bercer un de ses petits-enfants en fredonnant une berceuse de son village natal, Cattolica Eraclea en Sicile, réfléchissant à la nouvelle combine de blanchiment d’argent de son mari.
Ces élucubrations mentales occupent mon esprit pendant que je regarde les photos des funérailles de Libertina Manno, veuve de Nick Rizzuto Sr, mère de Vito et grand-mère de Nick Rizutto Jr, qu’elle aura tous enterrés. Ainsi va la mort dans les familles mafieuses.
La matriarche du clan Rizutto est décédée à 90 ans. Ses obsèques ont attiré les alliés du clan, ceux qui peuvent se montrer en public, à l’église Notre-Dame-de-la-Défense dans la Petite Italie, où Mussolini à cheval domine la fresque derrière le choeur.
Des « personnalités » de la communauté italienne étaient aussi présentes, dont monsieur Trottoir, Nicolo Milioto, celui qui ignorait ce qu’était la mafia lors de son passage à la commission Charbonneau.
SAVOIR
Depuis la série Les Sopranos, je suis fascinée par les femmes de mafieux. Il semble y en avoir deux modèles : la femme soumise qui sait sans tout savoir, qui se sent coupable et qui ne se mêle de rien, comme Carmela, l’épouse de Tony Soprano.
L’autre, la mère de Tony, Livia Soprano, si dure qu’elle veut faire assassiner son fils pour se venger de l’avoir « placée ».
Quand je regarde le visage fermé de Libertina Manno aux funérailles de son petit-fils Nick junior, je vois une femme italienne traditionnelle qui faisait sans doute une excellente sauce tomate, mais aussi une femme sans peur que l’on craignait.
Elle savait tout. Son père avait été un chef mafieux en Sicile. Elle a toujours baigné dans les valeurs mafieuses – la famille, le silence et la loyauté – et c’était son rôle de les transmettre à ses enfants.
Mission accomplie : son fils Vito est devenu parrain.
LES TEMPS CHANGENT
Malgré son nom et son influence, Liberta était enchaînée à une tradition sexiste.
Aujourd’hui, il existe des donna d’onore, des femmes d’honneur qui reprennent le territoire de leur mari ou de leurs frères quand ils meurent ou sont emprisonnés.
C’est le cas de Giusy Vitale, Lady Mafia, devenue marraine en Sicile en 1998 pour remplacer ses frères « retenus ailleurs ».
Mais elle a craqué. « Pour mes enfants, » a-t-elle dit.
J’imagine mal Libertina Manno dénoncer sa famille.