Le Journal de Montreal

Embûches comiques

Le métier d’humoriste en est un parsemé d’embûches. Pour lever le voile sur cette profession parfois méconnue, l’animatrice Isabelle Ménard a demandé à 12 humoristes de raconter leur parcours, dans le livre Tomber en humour. Voici cinq extraits que nous a

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Jay Du Temple

« Aujourd’hui, on me dit souvent : “Toi, ça fonctionne parce que t’es beau.” Les gens ne réalisent pas qu’on ne dirait jamais à quelqu’un : “Toi, ça fonctionne parce que t’es gros” ou “Toi, ça fonctionne parce que t’es laid”. Dire qu’une carrière humoristiq­ue fonctionne parce que mes parents m’ont offert un bagage génétique qui semble plaire à la société dans laquelle on vit, c’est dire que mon public est tellement stupide qu’il n’écoute pas ce que je dis et ne fait que me regarder et rire quand je ne parle plus afin que je continue à rester devant eux plus longtemps. C’est dire que mon matériel est inintéress­ant, inutile, vide et que même s’il ne l’est pas, on s’en fout : “Personne t’écoute, t’es beau.” »

Kim Lévesque-Lizotte

« Les joies du milieu artistique : tout le monde trouve une raison extérieure au succès des autres pour justifier son propre échec. Je l’ai subi maintes et maintes fois, mais j’ai fait la paix avec ça en constatant que tout le monde le subit. Y’a pas assez de place au soleil pour tout le monde et tout le monde veut être au soleil. J’ai une bonne place. Je suis privilégié­e. On peut donc se permettre de me discrédite­r. Les “c’parce qu’est belle”, “c’parce qu’à sort avec lui”, “une chance qu’elle a eu Louis Morissette”, y’a rien que j’ai pas entendu. »

« La cause de mon arrêt de la scène, c’est pas les ragots, c’est pas les perception­s, c’est pas les jugements. C’est de ma faute. Parce que j’y ai donné de l’importance. Parce que j’ai été blessée de ne pas faire l’unanimité au lieu de m’en foutre. »

Martin Perizzolo

« Toujours chercher à être drôle, ça peut devenir aliénant. Sans parler des balles courbes que la vie sait nous envoyer. Être drôle quand rien ne va plus, c’est gravir une montagne en commençant l’ascension au fond d’un ravin. » « L’exemple le plus récent que je peux vous donner, c’est quand j’ai fait une vidéo en réponse au rivergate et pseudo-scandale qui a suivi la diffusion d’une émission sur le câble, dans laquelle j’en ai pété un. […] Sans joke, je traversais le pont Champlain en revenant du tournage et le fleuve me semblait une douce solution. Ou une douce vengeance… Avoir envie de me foutre à l’eau parce que je n’avais pas voulu me foutre à l’eau. L’ironie m’a fait rire… Fort. J’ai ri seul dans ma voiture, un peu comme lorsqu’on pleure, seul. Quand l’humour est aussi le remède. »

Korine Côté

« L’humour est un combat perpétuel et tu es seule au combat. C’est ton texte, ta voix et ta face. Devant 12 personnes, 500 ou 10 000. Tu dois être en forme et de bonne humeur, que tu te sois déchiré un muscle dans la cuisse ou qu’un proche soit décédé hier. Tu ne peux pas caller malade. Des gens ont acheté des billets des mois à l’avance, se sont déplacés, eux aussi ont des problèmes et ils ont envie de décrocher. » « Humoriste est un job de maniaco-dépressif. Tu as des gros highs et des gros downs d’une journée à l’autre. Tu peux faire un spectacle jubilant avec une ovation de trois minutes et le lendemain, aller te péter la gueule dans un événement corporatif où les gens regardent plus leur montre que toi et rient davantage du PowerPoint du patron que toute l’heure que tu as jouée sur scène. L’humour, c’est un travail de plaisir où tu ne seras jamais à l’aise. Tu es dans tes vieux souliers, mais il y a toujours une roche dedans. »

Pierre-Bruno Rivard

« En 2012, j’ai remporté un premier Olivier. Il s’agissait d’un prix pour les textes du spectacle Tout va bien de Maxim Martin. J’étais dans l’équipe d’auteurs. Lorsqu’on gagne un prix en équipe, on remet une statuette en bronze au gagnant, mais les autres membres doivent s’en payer une copie qui coûte autour de 500 $. Le problème, c’est que je n’avais pas l’argent nécessaire dans mon compte en banque pour me payer une copie du trophée. Il a fallu que mon père m’aide à en payer la moitié. C’était un étrange mélange de fierté et de honte en même temps… Comme l’a soulevé à la blague mon ami Simon Cohen : “C’est dur de dire si ta carrière va bien quand tu gagnes un Olivier, mais que tu es trop pauvre pour pouvoir te le payer.” » « C’est un métier d’image, la plupart des galas de remise de prix que tu vois sont faussement glamour. 80 % des robes sont prêtées aux artistes et tu peux oublier la limousine, tout le monde arrive en taxi ou tourne en rond pour trouver un stationnem­ent gratuit afin de sauver le 22 $ du parking sur place. »

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