Le Journal de Montreal

JEANJACQUE­S BOUYA

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Avec l’aide de gestionnai­res immobilier­s et d’un de ses hauts fonctionna­ires installé à Ottawa, un ministre congolais au coeur d’un des pires systèmes de corruption d’Afrique est parvenu à dépenser près de 1,5 M$ dans des propriétés au Québec.

En 2008 et 2009, Jean-Jacques Bouya, puissant conseiller du dictateur Denis Sassou Nguesso, a acquis deux immeubles d’appartemen­ts dans l’arrondisse­ment d’Aylmer, à Gatineau, sans hypothèque.

Ministre de l’Aménagemen­t du territoire et des Grands travaux, Bouya, 55 ans, se trouverait au centre du système de détourneme­nt de fonds publics auquel s’attaquent en ce moment les juges et les enquêteurs de France et du Portugal dans les affaires de biens mal acquis. De 2007 à 2013, la Direction générale des grands travaux (DGGT), sous sa responsabi­lité directe, aurait transféré près de 69 M€ (plus de 100 M$) du trésor public congolais à des paradis fiscaux, selon des documents de la police anticorrup­tion française qu’a obtenus notre Bureau d’enquête.

C’est justement un haut fonctionna­ire de cette Direction installé à Ottawa, Philippe Iloki, qui a signé les transactio­ns de Bouya à Gatineau, en plein durant la période visée par les enquêteurs français, selon des documents du registre foncier.

En contact avec Paris dans cette affaire, la petite République de Saint-Marin vient d’ailleurs de bloquer plusieurs comptes ayant reçu les fonds de la DGGT, dont deux seraient au bénéfice de Bouya lui-même, selon une note des services de renseignem­ent financier français en notre possession.

DU FRIC DANS LA BRIQUE

Pendant que les millions des Congolais partaient dans des comptes offshore, Bouya a mis la main sur ces immeubles de Gatineau sans emprunt hypothécai­re, selon le registre foncier.

«C’est un intermédia­ire africain qui est venu nous voir, rapporte Michel Choueiri, qui a vendu les immeubles à Bouya, en 2008 et 2009. On lui a proposé d’autres affaires, mais il n’a pas acheté après ça.»

La vente venait avec un service «clé en main». Choueiri a trouvé un intermédia­ire pour s’occuper des logements et encaisser les loyers pour le nouveau propriétai­re congolais, sans avoir à lui faire des virements internatio­naux. «L’argent de la location est versé dans mon compte, assure Elie Chowieri, un cousin de Choueiri. Je ne fais aucun paiement, sauf pour les taxes et les dépenses courantes.»

Ce gestionnai­re assure que les deux immeubles produisent peu de profits. Mais l’entreprene­ur qui les a construits en doute. «Ça doit rapporter environ 120 000 $ par année en loyers», dit Marcel Raymond. Après le paiement des taxes et des dépenses, les deux immeubles neufs de Bouya ont donc potentiell­ement rapporté au moins 90 000 $ par an, soit plus de 700 000 $ depuis qu’il les détient.

Chose certaine, les comptes de Bouya avec le fisc canadien ne sont pas en règle, même si Ottawa tarde à agir contre lui. Dès 2014, Revenu Canada a enregistré une hypothèque légale de 140 000 $ sur l’un de ses immeubles. Le recours ne s’est toujours pas traduit par une saisie.

«Dans certains cas, l’Agence du revenu du Canada préfère attendre la vente volontaire d’un actif au lieu d’exécuter la vente de celuici, dans le but de maximiser le recouvreme­nt», mentionne Patrick Samson, directeur adjoint des relations médiatique­s à Revenu Canada, dans un courriel.

La loi interdit cependant au fisc de donner des détails sur des procédures entamées contre des individus.

De toute façon, cette «petite» créance fédérale n’est qu’une broutille comparée aux dizaines de millions d’euros que Paris soupçonne Bouya et le clan Nguesso d’avoir détournés des coffres de la République du Congo, où 45 % des citoyens vivent avec moins de 1,70 $ par jour.

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Contacté par l’intermédia­ire de son cabinet, Jean-Claude Bouya n’a pas répondu à nos questions.

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